Le Salon international de l’automobile de Genève (Suisse), qui a fermé ses portes le 18 mars, a consacré l’apparition de deux signatures inédites. Polestar, marque créée par Volvo pour vendre des modèles électriques de luxe, et Cupra, appellation qui regroupera désormais les versions sportives de la gamme Seat.

Rien que de très banal dans un univers automobile qui connaît une inflation sans précédent de nouvelles marques, labels et signatures constitués ex-nihilo ou réactivés après une longue absence. Ces derniers mois, on a vu renaître Alpine, émerger Lynk & Co (création commune de Volvo et de son propriétaire chinois Geely) et découvert Gazoo, « ombrelle » des modèles sportifs de Toyota, mais aussi les bannières I.D. et EQ qui rassembleront respectivement les véhicules électriques de Volkswagen et de Mercedes. Et on annonce pour très bientôt le retour du vénérable blason Lagonda, convoqué par Aston-Martin pour en faire le porte-étendard de ses futures versions « zéro émission ».

Curieux paradoxe. Les voitures modernes, conçues sur un nombre réduit de plates-formes techniques et soumises à de forts effets de mode, se ressemblent de plus en plus… mais sont proposées sous une myriade de logos différents. Ce phénomène prend acte du mouvement continu d’éclatement du marché automobile en de multiples « niches ». Une frénésie qui dit aussi l’influence du marketing dans les processus de décision.

Quête d’une image sportive

« Cette façon de faire s’inspire des marques premium allemandes, qui ont depuis longtemps réservé une appellation particulière à leurs versions les plus puissantes », souligne Jamel Taganza, vice-président d’Inovev, cabinet d’études spécialiste de l’automobile. BMW a créé la griffe M (pour Motorsport), Mercedes la signature AMG et Audi les séries RS. « En l’occurrence, ajoute le consultant, il ne s’agit pas de faire du volume les ventes, par définition, restent marginales mais de valoriser l’image de la marque et du modèle. »

De son côté Gilles Fraysse, consultant spécialiste des marques, évoque un changement des valeurs. « La fin du XXsiècle était l’âge d’or de la marque toute-puissante mais les temps ont changé et nous sommes entrés dans l’ère de la customisation, où l’on aspire à ce que le produit nous ressemble », estime-t-il. Selon lui, « ce mouvement incite à multiplier les bannières, dans l’automobile comme ailleurs ».

Trois grandes logiques de spécialisation incitent à développer marques, sous-marques, lignes de produits spécifiques et labels. D’abord, la quête d’une image sportive, démarche supposée donner du tonus à un constructeur, même s’il ne s’agit que d’un vernis superficiel. C’est le cas de Seat, marque encore fragile et en mal de notoriété, qui a pourtant entrepris de se doter d’une gamme bis inspirée de la griffe Abarth chez Fiat.

Pour les constructeurs généralistes, il peut aussi s’agir de monter en gamme en espérant prendre pied sur le segment du premium, de loin le plus profitable. Pour décrocher ce graal, les groupes français montrent patte blanche en invoquant un passé glorieux, celui de DS pour PSA et celui d’Alpine pour Renault.

Les japonais Toyota, Honda et Nissan ont, de leur côté, respectivement introduit il y a presque trente ans les signatures Lexus, Acura et Infiniti. Seule la première est vraiment parvenue à faire sa pelote dans le haut de gamme mais au prix de très longs et très coûteux investissements. En effet, créer une nouvelle identité, surtout si elle bénéficie d’un réseau de distribution spécifique, exige des moyens considérables. Et un renouvellement rapide des modèles, sous peine de passer pour quantité négligeable.

Identifier les voitures électriques

La troisième raison qui incite à introduire de nouvelles dénominations, c’est « l’électrification » progressive des automobiles. « C’est un moyen de faire en sorte que le public identifie plus rapidement et plus clairement notre gamme de voitures électriques », affirme-t-on chez Mercedes lorsqu’on demande au constructeur pourquoi la firme de Stuttgart a créé la ligne EQ.

La marque Polestar, chargée chez Volvo de concurrencer Tesla avec une gamme de puissants modèles électriques essentiellement destinés à la Chine et aux Etats-Unis, offre l’opportunité de faire table rase. « Volvo ne dispose pas forcément de la crédibilité permettant de lancer une voiture électrique de 600 chevaux. En revanche, avec Polestar, nous n’avons pas d’héritage à prendre en compte et nous pouvons mettre en œuvre un traitement différent de nos clients qui, par exemple, pourront s’ils le souhaitent ne jamais avoir à se déplacer en concession », assure Jonathan Goodman, numéro deux de la nouvelle marque qui ne se veut pas « scandinave », mais « globale ».

Multiplier les enseignes comporte aussi sa part de risque. Trop de marques pourrait bien tuer la marque. « On peut finir par brouiller la façon dont le public perçoit le constructeur », insiste Bertrand Rakoto, analyste indépendant. La difficulté de redéfinir le territoire de Citroën après la création de DS comme marque à part entière au sein du groupe PSA démontre que la question n’a rien de théorique. « La réussite de ces nouvelles entités dépend de leur légitimité et de leur stabilité. Si le constructeur rencontre des difficultés, elles seront les premières victimes d’un plan de rationalisation », prévient le consultant.