Madame la ministre,

La décision que vous avez prise de retirer le nom de Charles Maurras de la longue liste de faits mémorables, établie par notre haut comité au titre de l’année 2018 – après l’avoir d’abord ratifiée par une préface élogieuse – et d’interrompre la diffusion du Livre des commémorations nationales nous rend impossible, à notre plus vif regret, de continuer de siéger dans cette instance.

Vos prédécesseurs et vous-même nous avaient demandé de consacrer à cette mission, bénévolement, du temps et de l’énergie, ce à quoi nous avions consenti volontiers, compte tenu de l’intérêt intellectuel, pédagogique et civique de cette entreprise.

Jusqu’en 2011 le champ confié à ce haut comité concernait les « Célébrations nationales ». Le terme pouvait laisser place à des incertitudes sur les frontières de celles-ci. Plusieurs d’entre nous, membres, à l’époque, de cette institution, avaient donc proposé que l’on substituât à ce terme celui de « Commémorations ». A l’occasion de controverses sur le cas de Céline, Frédéric Mitterrand, votre prédécesseur, en décida ainsi. Ce changement affiché, explicite, marquait en soi, aux yeux de tous les observateurs de bonne foi, le parti qui était pris par les pouvoirs publics. Il s’agissait d’associer, dans les propositions qui leur seraient faites, d’une part, l’hommage à des personnages et des événements qui justifiaient une fierté collective et, d’autre part, le rappel d’épisodes ou d’acteurs ayant compté dans notre histoire tout en pouvant susciter rétrospectivement réserves, douleur ou indignation au regard des valeurs de la démocratie républicaine. Toute une sensibilité contemporaine ne nous encourage-t-elle pas à considérer avec lucidité les « pages noires de notre histoire » ? Pour reprendre l’ensemble des commémorations qui vous étaient proposées, le destin de notre pays associe le souvenir d’un Simon de Montfort à celui d’un René Cassin. Au sein de cette liste, établie à l’unanimité, la présence de Charles Maurras allait de soi, cette personnalité, ennemie de la République, ayant joué dans l’histoire de notre pays un rôle intellectuel et politique considérable, bien au-delà de sa famille de pensée.

Ce point de vue, cohérent et mesuré, semble n’avoir pas été compris par une partie de l’opinion publique. La polémique qui s’en est suivie et la réaction qu’elle a entraînée de votre part nous portent à croire qu’à l’avenir de tels incidents risquent de se reproduire. Vous comprendrez que, dans ces conditions, nous ne puissions continuer à siéger avec, en permanence, la menace soit de la censure soit de l’autocensure.

Nous vous présentons donc, madame la ministre, et non sans tristesse, notre démission du haut comité des commémorations nationales.

Ont signé, par ordre alphabétique : Christian Amalvi, professeur à l’université Paul-Valéry Montpellier-III ; Marie-Laure Bernadac, conservatrice générale honoraire ; Gilles Cantagrel, musicologue ; Nicole Garnier, conservatrice générale du patrimoine, chargée du musée Condé à Chantilly ; Claude Gauvard, professeur émérite d’histoire médiévale à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne ; Robert Halleux, membre de l’Académie royale de Belgique, directeur du Centre d’histoire des sciences et des techniques de l’université de Liège ; Jean-Noël Jeanneney, ancien ministre ; Évelyne Lever, historienne moderniste et écrivain ; Pascal Ory, professeur à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne ; Jacques Perot, président de l’Association française pour la protection des archives privées.