Il est des films dans l’histoire du cinéma qui dépassent toutes proportions raisonnables, produits de la volonté mégalomane de producteurs à qui le système hollywoodien laissait alors à peu près toute licence. Ce fut le cas de Duel au soleil, que réalisa, en 1946, King Vidor, pour David O’Selznick.

A l’origine, il y avait un roman de Niven Busch, qui sera par ailleurs scénariste de quelques beaux westerns shakespeariens et freudiens (La Vallée de la peur, Les Furies). Le récit se situe au Texas, bien après la guerre de Sécession, et le producteur d’Autant en emporte le vent avait sans doute la volonté de mêler western et drame sudiste en adaptant un best-seller audacieux.

Film monstrueux, « Duel au soleil » se caractérise par ce que Berthomieu appelle une « malédiction de l’impureté »

On trouvera, avec moult précisions, tous ces détails dans le livre de Pierre Berthomieu qui accompagne le somptueux coffret DVD Blu-ray du film édité par Carlotta, Le Temps des folies : la fabrique de « Duel au soleil ». Historien du cinéma, spécialiste d’Hollywood, Berthomieu détaille la genèse d’un film au cours de laquelle le producteur ne voulut jamais lâcher prise, fit écrire puis réécrire le scénario, obsédé par le désir de donner un écrin à sa compagne, l’actrice Jennifer Jones. S’il embaucha King Vidor pour la mise en scène, il fit rajouter des séquences par d’autres cinéastes et non des moindres (William Dieterle, Josef von Sternberg).

Film monstrueux, Duel au soleil se caractérise ainsi par ce que Berthomieu appelle une « malédiction de l’impureté ». A qui attribuer la paternité artistique du film, celle des différents plans, entre un producteur interventionniste, trois réalisateurs et autant de directeurs de la photographie ? Il est désormais possible d’y voir plus clair à la lumière de ce travail archéologique minutieux. Tout ce savoir ne retire rien à la beauté du film et, s’il avoue une implication écrasante du producteur, rattache malgré tout de plein droit Duel au soleil à la filmographie de King Vidor.

Romantisme violent

Même si ce ne fut pas son premier choix, Selznick fit vraisemblablement appel à Vidor, un Texan d’origine, cinéaste de l’énergie vitale et tellurique, parce qu’il voyait en lui un réalisateur capable de mettre à nu toute la charge érotique de ce mélo du Sud décadent. L’heure est à l’avancée de la civilisation, incarnée par la progression du chemin de fer dans le Texas d’après la guerre de Sécession. Les grands barons du bétail s’opposent au rail, hostiles à tout ce qui menace leurs privilèges écrasants. L’Ouest change.

Pearl Chavez, le personnage incarné par Jennifer Jones, est une jeune métisse prise entre deux hommes, ses deux cousins, dont l’opposition est un symbole de l’Histoire en train de se faire. L’un incarne la raison (Joseph Cotten), l’autre la pulsion brute (Gregory Peck dans un de ses rares rôles de bad boy). Elle sera irrémédiablement liée au second par une intense attraction sexuelle.

Le film est notamment célèbre pour sa séquence finale, d’un romantisme violent, où deux amants s’entre-tuent en se déclarant leur amour, illustration à coups de Winchester et de colt 45 du principe « ni avec toi ni sans toi ». Avec ce film, Vidor apparaît définitivement comme le cinéaste de la passion au sens où elle est décrite par le philosophe Clément Rosset : « Convoiter un objet qu’on prend soin d’écarter en toutes circonstances. »

Duel in the Sun Official Trailer #1 - Gregory Peck Movie (1946) HD
Durée : 02:17

Film américain de King Vidor (1946). Avec Jennifer Jones, Gregory Peck (2 h 24). Coffret DVD/Blu-ray et livret « Le Temps des folies : la fabrique de“Duel au soleil” ». Carlotta. Sur le Web : carlottavod.com/coffrets-ultra-collectors/duel-au-soleil et www.acaciasfilms.com/film/duel-au-soleil-2