Le ministre belge de la défense, Steven Vandeput (à gauche), s’apprête à embarquer à bord d’un avion de chasse F-16 pour un vol d’essai, en juillet 2015, à Peer (Flandre). / LUC CLAESSEN / AFP

Le marché pour le renouvellement des avions de chasse de l’armée belge n’a visiblement pas livré tous ses secrets. Il tourne même au cauchemar pour le gouvernement de Charles Michel. Cette opération, qui devrait représenter un montant de 15 milliards d’euros (3,6 milliards pour l’achat des appareils, le reste pour leur entretien sur quatre décennies) avait déjà été entachée par le retrait mystérieux de deux constructeurs, l’américain Boeing et le suédois Gripen.

S’y est ajoutée la démarche de Dassault, qui ne s’est pas engagé dans la procédure officielle d’appel d’offres afin de proposer un « partenariat étendu ». Cela a brouillé le jeu – que les autorités voulaient transparent – et crée in fine des tensions politiques et des suspicions.

Mardi 20 mars, un nouvel élément troublant était évoqué par le quotidien De Standaard. Un rapport en possession de l’état-major de l’armée souligne que les 54 appareils F-16 américains de la défense belge pourraient très bien voler six années de plus, ce qui reporterait la date de leur renouvellement de 2023 à 2029.

Jusqu’ici, le ministre (nationaliste) flamand Steven Vandeput, interrogé à plusieurs reprises par des parlementaires, avait assuré que la date butoir pour le renouvellement des chasseurs était obligatoirement 2023, aucune étude ne permettant, selon lui, d’affirmer que leur durée de vie pourrait être prolongée.

Embarras du premier ministre Charles Michel

Le ministre a-t-il menti ou était-il mal informé ? Quoi qu’il en soit, son ministère a bel et bien commandé un rapport, qui a été remis en avril 2017. Il indiquait qu’il était parfaitement possible, moyennant quelques aménagements, d’utiliser des appareils qui n’ont pas atteint la limite de durée de vol. Une deuxième étude confirmait ce diagnostic, en février.

Paradoxe : ces rapports ont été rédigés par le constructeur américain Lockheed Martin, qui est le concurrent apparemment le mieux placé dans la course pour le remplacement des F-16 : son F-35 Lightning a les faveurs de l’état-major et, semble-t-il, du ministre. Même si ses coûts sont très élevés, si le contrôle de son système informatique par les Etats-Unis soulève des questions, et si la Belgique prône, comme d’autres pays, la nécessité d’une défense européenne.

Le seul rival officiel du F-35 est le Typhoon, appareil issu d’un programme réunissant le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Les Britanniques de BAE Systems promettent, en cas d’acquisition de leur appareil, 19 milliards d’euros de retombées et 6 000 emplois, ainsi que des centres de formation, d’innovation et de cybersécurité.

Le groupement français d’intérêt économique Rafale - Dassault Aviation, avec Thales et Safran, évoque de son côté 5 000 emplois et 20 milliards d’euros, et mise sur la nécessité d’un choix européen. Embarrassé, tiraillé entre des positions flamandes favorables au F-35 et les élus qui, dans son parti – le Mouvement réformateur (libéral francophone) –, demandent une prise en compte de l’offre française, le premier ministre Charles Michel a commandé une analyse juridique pour déterminer si le projet du Rafale pouvait être accepté, même si Dassault n’a pas respecté la procédure d’appel d’offres.

Audit externe du ministère de la défense

Avant les révélations sur le rapport caché de la défense, le premier ministre évoquait une décision à l’horizon de juillet – soit aux alentours du sommet de l’OTAN, qui doit se tenir au nouveau siège de l’Alliance atlantique, à Bruxelles, les 11 et 12 juillet.

On s’attend à ce qu’au cours de cette réunion, le président Donald Trump insiste à nouveau bruyamment pour que ses partenaires européens accroissent leurs dépenses de défense. La Belgique, qui compte parmi les mauvais élèves en matière de dépenses militaires – loin des 2 % du PIB exigés par Washington – espérait visiblement corriger son image en annonçant son investissement. Quitte, peut-être, à se mettre à dos son voisin français (c’est la ministre Florence Parly qui a personnellement remis l’offre de partenariat à son homologue belge, en septembre 2017).

Interrogé en urgence au Parlement, mardi 20 mars, le ministre Steven Vandeput a démenti avoir été mis au courant de l’existence des rapports sur l’état des F-16. Accusé de « grave négligence » par l’opposition, il a annoncé un audit externe de son ministère, afin de déterminer quels étaient les responsables du dysfonctionnement. M. Vandeput a affirmé que les études avaient été commandées par son ministère, mais que les résultats n’avaient pas été transmis au plus haut niveau.

« J’ai découvert ce rapport ce matin. Je n’ai jamais rien caché, ni au gouvernement ni au Parlement », a-t-il poursuivi, soulignant que la procédure pour l’acquisition de nouveaux avions allait se poursuivre normalement. Les chefs de l’armée devraient bientôt être, à leur tour, sur la sellette. En tout état de cause, le choix du gouvernement s’annonce plus complexe après les révélations des derniers jours.