Certains ouvrages d’art comme le pont Vasco-de-Gama, à Lisbonne, nécessitent la résolution d’équations complexes. / Dvoevnore Photo

Quelle discipline scientifique peut se targuer d’accoler aussi souvent l’étiquette de « génie » à ses représentants les plus connus ? La chimie, la biologie, les sciences humaines ont évidemment leurs géants, leurs célébrités, leurs révolutionnaires… mais peu sont qualifiés de génies. La physique, avec bien sûr Albert Einstein, se distingue à peine plus.

Assurément, ce sont donc les maths qui remportent la palme. Dès Euclide ou Archimède, le qualificatif se répand. Et il continue avec Newton, Euler, Gauss, Poincaré, Ramanujan, von Neumann, Nash… Et se poursuit encore à l’heure actuelle avec le Britannique Andrew ­Wiles, qui a démontré le théorème de Fermat, ou le Russe Grigori Perelman, qui est venu à bout de la conjecture de Poincaré, deux sommets de la discipline qui résistaient depuis au moins un siècle.

Affrontement direct entre l’homme et la nature

Les génies dont cette nouvelle collection intitulée « Génies des mathématiques », en partenariat avec L’Obs, retrace la vie et l’œuvre, revêtent les formes les plus variées. Il y a les précoces, les étoiles filantes, les défricheurs, les créateurs, les touche-à-tout… Ils ont marqué l’histoire de leur discipline, comme l’histoire tout court.

Constater la profusion d’hommes, et plus rarement de femmes, hors du commun en maths n’est pas faire injure aux autres disciplines. Les maths ont des avantages que les autres n’ont pas. Discipline essentiellement intellectuelle, elle est un affrontement direct entre l’homme et la nature, souvent comparée à l’ascension d’une montagne ou à l’exploration de terres vierges. En cas de découverte, les superlatifs auront donc tendance à pleuvoir, comme en sport ou en musique.

Elle est aussi un exercice souvent solitaire qui fait que les succès sont plus facilement ­attribuables à une seule personne.

Une « éternité » des maths

Il n’est pas rare non plus que ces célébrités soient proches de la folie, comme en témoigne par exemple l’« épidémie » de telles pathologies dans le rang des logiciens comme Gödel, Cantor ou Frege.

Dans l’entretien qui suit, Etienne Ghys, directeur de recherche à l’Ecole normale supérieure de Lyon et parrain de cette collection, relativise cette étiquette de génie, en réalité plus médiatique que pertinente, en rendant hommage au « terreau » de mathématiciens quasi inconnus qui permet à ces grands hommes de sortir du lot. Les profs, les ingénieurs, les ­artisans comptent aussi dans ce paysage, ­décrit à tort comme éclairé de feux d’artifice intellectuels spontanés.

Les maths, comme cette collection nous le montre également, se distinguent aussi par une autre caractéristique, sans doute moins discutable : un rapport particulier au temps. « Dans quelle autre discipline qu’un cours de maths pourriez-vous apprendre des choses correctes de plus de trois cents ans », nous susurrait à l’oreille Etienne Ghys dans un amphi où l’un de ses collègues faisait une conférence. En physique, les concepts d’atomes crochus, de phlogistique, d’éther ont disparu des manuels. Pas les théorèmes de Pythagore ou de Thalès. Une « éternité » des maths à savourer aussi dans les ouvrages de la collection.