La tempête ne s’apaise pas autour de Facebook. Il faut dire que l’affaire est sérieuse : une entreprise britannique du premier cercle de Donald Trump, Cambridge Analytica, est accusée d’avoir aspiré sur Facebook les données personnelles de dizaines de millions d’utilisateurs. Même si le réseau social s’est dit « scandalisé d’avoir été trompé » et déclare comprendre « la gravité du problème », la pression sur la société de Mark Zuckerberg s’accentue.

Une commission parlementaire britannique a demandé mardi 20 mars au patron de Facebook de venir s’expliquer devant elle. Et lui a donné jusqu’à lundi 26 mars pour répondre. Le jeune milliardaire a également été invité à s’exprimer devant le Parlement européen, qui va « enquêter pleinement » sur cette « violation inacceptable des droits à la confidentialité des données ».

Aux Etats-Unis, les procureurs de New York et du Massachusetts ont lancé une enquête sur ce scandale et, selon les médias américains, la Commission fédérale du commerce a elle aussi ouvert une procédure. Quant à Cambridge Analytica, également dans le collimateur des pouvoirs publics britanniques et américains, elle a décidé de suspendre son patron, Alexander Nix.

Ces derniers développements en disent long sur Facebook. Plus de quatre jours ont passé depuis que le scandale a éclaté, et l’entreprise est groggy. Alors qu’elle fait l’objet de critiques et d’une pression politique sans précédent, ses principaux dirigeants ne se sont toujours pas exprimés.

« Guerre psychologique »

Facebook avait peut-être des raisons de ne pas avoir vu venir la polémique. Une bonne partie des faits relatés par le Guardian et le New York Times vendredi 16 mars étaient en effet déjà connus. Dès la fin du mois de décembre 2015, alors que Ted Cruz est encore en course pour l’investiture républicaine pour la présidentielle de novembre, le Guardian – déjà – révèle qu’il s’est adjoint les services d’une entreprise spécialisée dans la stratégie électorale : Cambridge Analytica.

La technique utilisée par l’entreprise pour siphonner les données y est déjà exposée : en rémunérant quelques milliers d’internautes pour répondre à un questionnaire au sein de Facebook et en profitant des largesses du réseau social en matière d’accès aux données de leurs « amis », un sous-traitant de la société est parvenu à constituer des fichiers pour des millions d’utilisateurs. Plus d’un an plus tard, le site The Intercept se demande pourquoi Facebook n’a jamais réagi alors que les données de dizaines de millions de ses utilisateurs ont été siphonnées.

Pourquoi la déflagration ne se fait-elle sentir qu’aujourd’hui ? D’abord, parce que le Guardian a convaincu un ancien employé de Cambridge Analytica, Christopher Wylie, de témoigner. Ce lanceur d’alerte, cheveux rouges, barbe de trois jours et piercing au nez, apporte des documents comblant les dernières inconnues de l’affaire et affirme ses regrets d’avoir participé à ce qu’il décrit comme « un outil de guerre psychologique ».

Cambridge Analytica est devenue infréquentable

Ensuite, parce que de sulfureuse, l’entreprise Cambridge Analytica, est devenue en quelques heures totalement infréquentable. On la savait financée par le donateur républicain Robert Mercer, et dirigée, un temps, par l’influent et polémique ancien conseiller de Donald Trump, Stephen Bannon. Certaines des promesses de l’entreprise avaient aussi des accents dystopiques, en particulier celle de déduire des mentions « J’aime » glanées sur Facebook un profil psychologique suffisamment précis pour influencer l’électeur.

Mais de nouvelles révélations, concomitantes avec celles concernant la fuite de données, éclairent l’entreprise sous un jour lugubre. En caméra cachée, la chaîne britannique Channel 4 a capté les dessous peu reluisants de la firme. Lundi soir, on découvrait Alexander Nix proposant ses services (pots-de-vin, prostituées ukrainiennes…) pour piéger des hommes politiques.

Beaucoup craignent que les données récupérées sur Facebook aient été utilisées dans le cadre de la campagne numérique de Trump pour manipuler les électeurs, ce que l’entreprise a démenti. Dans une deuxième caméra cachée diffusée mardi soir par Channel 4, le même Alexander Nix se vante devant ce qu’il pense être des clients potentiels d’avoir joué un rôle-clé, affirmant que leurs données avaient permis l’élection de Trump malgré le moindre nombre de voix recueillies par celui-ci au niveau national : « On a fait toutes les recherches, les données, les analyses, le ciblage On a mené la campagne numérique, la campagne de télévision, et nos données ont alimenté toute la stratégie. »

Dans le Washington Post, le lanceur d’alerte Christopher Wylie a par ailleurs expliqué que Steven Bannon avait directement supervisé la collecte des données sur Facebook. De quoi relancer les interrogations, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, sur la sincérité de l’élection présidentielle pour les premiers, du référendum sur le maintien dans l’Union européenne pour les seconds.

Dans ce contexte, la polémique a immédiatement atteint Facebook. D’autant plus que le sous-traitant de Cambridge Analytica n’a pas eu besoin de pirater Facebook pour aspirer les données : le réseau social permettait à l’époque d’accéder à davantage de données personnelles qu’aujourd’hui.

Le sommet de l’iceberg

De Facebook, la pression se déplace sur Mark Zuckerberg, personnellement. Le Parlement britannique, par la voix du président de sa commission sur le numérique et les médias, a fermement invité le jeune PDG à venir s’expliquer. « Nous sommes convaincus que vous comprendrez notre besoin d’entendre un représentant de Facebook de tout premier plan. Puisque votre résolution de début d’année est de “réparer” Facebook, j’espère que vous serez ce représentant », écrit le député conservateur Damian Collins.

Mais un autre front devrait s’ouvrir pour Facebook dans un avenir très proche. Mardi, plusieurs médias américains citant des sources internes affirmaient que la Federal Trade Commission avait entamé une enquête sur une possible violation par Facebook d’un accord sur les données personnelles, exposant le réseau social à de très fortes amendes.

Comme si cela ne suffisait pas, le New York Times a révélé lundi que le responsable de la sécurité de Facebook, Alex Stamos, devrait quitter l’entreprise au mois d’août, sur fond de désaccords avec la direction concernant la manière de communiquer sur les tentatives d’ingérence russe sur le réseau social.

L’affaire Cambridge Analytica pourrait de surcroît n’être que le sommet de l’iceberg. Sandy Parakilas, un ancien salarié du réseau social, a estimé qu’une myriade d’entreprises ont par le passé siphonné des données de la même manière que Cambridge Analytica, sans que les dirigeants de Facebook n’y trouvent à redire.