L’avis du « Monde » – à voir

En 1900, Jeanne d’Arc entendait des voix devant la caméra de Méliès. Depuis, le cinéma succombe régulièrement à la tentation de l’invisible, de l’ineffable. Il n’est pas besoin d’être croyant – voir Pasolini, Cavalier et maintenant Cédric Kahn.

Le réalisateur de Roberto Succo ou Une vie meilleure aime fouailler dans le tissu social, de préférence aux endroits où il souffre. Dans ce film étonnant, le cinéaste prend la tangente sur les pas de Thomas (Anthony Bajon), un garçon d’une vingtaine d’années qu’on découvre assis dans un autocar qui l’emmène on ne sait où. La trajectoire de Thomas, héroïnomane qui cherche à échapper à son addiction, n’obéira pas aux lois du réalisme social, comme le faisait récemment sur un sujet voisin Marie Garel-Weiss dans son premier film, La fête est finie.

Cédric Kahn trouve la distance nécessaire pour laisser au spectateur sa liberté de croyant ou d’athée

Il sera ici question de foi, de miracle, de vocation, des questions auxquelles Cédric Kahn répond non pas par la théologie mais par le cinéma, trouvant la distance nécessaire pour laisser au spectateur sa liberté de croyant ou d’athée, donnant à son film une rigueur presque ascétique. Ici, tout est dans le « presque », qui laisse à l’humour, à la fantaisie, de petits interstices qui font que cette Prière ne résonne pas seulement comme une psalmodie, mais aussi comme une chanson.

L’autocar emmène Thomas dans une communauté catholique, isolée en montagne (le film a été tourné dans le Jura) où les arrivants sont soumis à une discipline monacale faite de travaux agricoles, de prières et de chants.

On retrouve la violence verbale et physique qui a souvent été le terrain d’élection de Cédric Kahn dans les premières séquences, qui montrent la difficile soumission du nouvel arrivant. Face à lui, il trouve Marco (l’acteur allemand Alex Brendemühl), raide comme la justice inquisitoriale, et une poignée de convertis emmenés par Pierre (Damien Chapelle), bouleversant en grand frère exaspérant qui n’en finit pas d’expier on ne sait quelle faute. Tous conjuguent leurs efforts pour persuader Thomas de se laisser aller.

Reddition

A partir du moment de sa reddition, La Prière prend un autre rythme, plus contemplatif. Le tournage a duré assez longtemps pour que l’on sente le rythme des saisons. Le débutant Anthony Bajon, qui impressionnait au début du film par une violence qui démentait sa carrure, s’épanouit, prend toute sa place dans la petite communauté. Mais au moment de prouver son adhésion à cette foi qui l’a éloigné de la maladie qui le rongeait, Thomas trébuche.

Le film pivote autour des séquences consacrées à la célébration de la communauté par elle-même. Les garçons du centre où séjourne Thomas sont alors réunis avec les filles d’une institution sœur, et l’on attend la visite de sœur Myriam (Hanna Schygulla), la religieuse fondatrice. Il y a l’été qui arrive, et la saynète un peu ridicule que les pensionnaires montent pour évoquer la résurrection de Lazare, il y a tous ces jeunes gens réunis une nuit d’été et le regard sans pitié de sœur Myriam.

Au moment de prouver son adhésion à cette foi qui l’a éloigné de la maladie qui le rongeait, Thomas trébuche

A ce moment, La Prière autorise toutes les formulations possibles : Thomas a été touché par la révélation ; à moins qu’il ne s’appuie sur une béquille métaphysique, avant de reprendre son chemin ; ou encore est-il manipulé par une secte. Quelle que soit l’interprétation dont on se sent le plus proche, elle ne fait pas sortir du film, qui est assez ample, assez accueillant pour les faire cohabiter.

Reste que les lois du scénario obligeaient Cédric Kahn et ses collaborateurs, Fanny Burdino et Samuel Doux, à mener leur personnage jusqu’au port, bon ou mauvais. La dernière partie n’est pas tout à fait à la hauteur du reste. Il y a d’abord l’intervention du surnaturel un soir d’excursion en montagne, qui semble faire tomber Thomas dans le camp des vrais croyants, puis ses hésitations entre les attraits de Sibylle (Louise Grinberg), une jeune archéologue qui vit dans la vallée, et ceux de l’habit sacerdotal. Non seulement ces dilemmes reviennent aux figures traditionnelles de la littérature cléricale, mais ils tendent vers l’abstraction, s’éloignant de l’incarnation forte qui avait jusque-là donné son énergie au film.

Film français de Cédric Kahn. Avec Anthony Bajon, Damien Chapelle, Louise Grinberg (1 h 47). Sur le Web : www.le-pacte.com/france/prochainement/detail/la-priere