Alexander Nix, directeur opérationnel de Cambridge Analytica, devant le siège de l’entreprise, à Londres, le 20 mars. / HENRY NICHOLLS / REUTERS

Donald Trump a-t-il remporté l’élection présidentielle américaine de 2016 grâce, notamment, aux données personnelles de dizaines de millions d’Américains récupérées sur Facebook ? La question se pose après les récentes révélations du Guardian et du New York Times concernant la start-up au cœur de la stratégie numérique du candidat républicain, Cambridge Analytica.

  • Cambridge Analytica, cheville ouvrière de la campagne Trump

Cambridge Analytica est une entreprise britannique qui prétend pouvoir déduire, à partir des goûts et préférences des internautes, un profil psychologique ainsi que leurs inclinations politiques profondes. Une technique qui nécessite une grande quantité de données personnelles.

Cette société a été la cheville ouvrière de la campagne numérique de Donald Trump. A tel point que le volet numérique de cette campagne a pris comme surnom « Projet Alamo », qui correspond à la principale base de données de Cambridge Analytica, expliquait en 2017 à la BBC Theresa Wong, responsable opérationnelle de la campagne numérique de Donald Trump :

« C’était un peu le cerveau [du centre des] données. On devait viser tel Etat, ou tel autre Etat, ou tel univers, etc. C’est ce que [Cambridge Analytica] faisait, ils rassemblaient toutes les données. »

Dans le vocable de Cambridge Analytica, un « univers » désigne un sous-groupe d’électeurs au profil similaire. Par exemple, les femmes actives préoccupées par la garde d’enfants – que Donald Trump a visées avec des spots de campagne montrant des enfants heureux. Aux électeurs noirs, relate Bloomberg, les équipes de Trump ont envoyé une petite animation façon South Park montrant Hillary Clinton qualifiant les membres de gangs de « super-prédateurs » lors d’un discours de 1996. « Hillary pense que les Afro-Américains sont des super-prédateurs », soulignait le texte.

Pour cibler ses messages, l’entreprise utilise de nombreuses informations dont elle dispose dans sa base sur chaque électeur : date et contenu du dernier vote, type de voiture, loisirs sur Internet, valeurs, etc.

« Je ne me serais jamais embarqué là-dedans, même pour Trump, si je n’avais pas su qu’ils construisaient ce gigantesque moteur à brasser des données Facebook », se félicitait en 2016 Steve Bannon, le très influent ancien conseiller de Donald Trump, alors investisseur et vice-président de Cambridge Analytica.

  • Facebook, au cœur de la stratégie de Trump

Le réseau social a en effet joué un rôle crucial dans ce ciblage électoral. « Projet Alamo » diffusait en moyenne plusieurs dizaines de publicités par jour, déclinées en dizaines de milliers de variations différentes – couleur, design, texte – en fonction des groupes d’électeurs potentiels visés.

Dans un entretien à la chaîne CBS diffusé en octobre 2017, Brad Parscale, le responsable de la campagne numérique de Donald Trump, s’est vanté d’avoir pu toucher « quinze personnes dans le Panhadle [la région nord-ouest] de la Floride, pour lesquelles je n’aurais jamais acheté un spot télé ». Dans cet Etat stratégique de la Côte est, Donald Trump l’a emporté par seulement 113 000 voix d’avance.

« Facebook est ce qui a donné à Breitbart son audience massive. Nous connaissons sa puissance », se félicitait par ailleurs en octobre 2016 Steve Bannon, également ancien président exécutif du site d’extrême droite. « Sans Facebook nous n’aurions pas gagné », a assuré quant à elle Theresa Wong à la BBC. Donald Trump « parlait aux gens avec Twitter, et a gagné avec Facebook », a encore résumé Brad Parscale dans un entretien à CBS diffusé en octobre 2017.

  • Les données récupérées ont-elles été utilisées ?

Derrière l’autocongratulation des équipes de Donald Trump, des points d’ombre subsistent.

Première question : les données subtilisées à Facebook ont-elles servi à alimenter la machine à cibler mise en œuvre par Cambridge Analytica pour Donald Trump ?

Malgré son ciblage extrêmement fin opéré sur Facebook, l’entreprise britannique s’est défendue de détenir et d’utiliser des profils appartenant au réseau social, et d’avoir fourni la moindre donnée aux équipes de campagne de Donald Trump. Elle avait même transmis à Facebook, en 2015, une attestation légale assurant que les données récupérées avaient été effacées. Selon le Guardian et le New York Times, elles ne l’ont pas été. Quel contrôle avait la plate-forme sur leur suppression effective ? « Aucun. Absolument aucun », relève dans le Guardian Sandy Parakilas, responsable des relations de Facebook avec les entreprises extérieures en 2011 et 2012 :

« Une fois que les données quittaient les serveurs de Facebook, il n’y avait plus aucun contrôle, et aucun moyen de savoir ce qui se passait. »

Seconde question : Cambridge Analytica a-t-elle été la machine à gagner de Donald Trump ? En d’autres termes, ce microciblage a-t-il été efficace pour remporter l’élection ? Responsables politiques, anciens de la cellule du candidat républicain et experts restent réservés sur ce point.

« Ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît d’être excellent dans un domaine et d’en faire un outil politique. Je pense que c’est une grosse question que de savoir si la psychographie marche réellement », relevait avec prudence Brent Seaborn, directeur associé de TargetPoint, une firme concurrente également cliente de la cellule trumpienne, interrogé par le New York Times en 2017.

« La pertinence de ces données a été exagérée. (…) Je ne pense pas que le microciblage est un moyen efficace d’utiliser ces données », tranche Alexandr Kogan, le chercheur qui a moissonné les données personnelles pour Cambridge Analytica, dans une de ses premières interviews depuis le scandale, accordée à la BBC.

« Project Alamo » a d’ailleurs cessé d’utiliser les services de Cambridge Analytica dans la dernière ligne droite de la campagne de Donald Trump, au début de l’automne 2016, au profit de celles du Comité national républicain (RNC), selon les informations de CBS News, jugées plus fiables. Le magnat de l’immobilier, qui divisait au sein de son propre camp, s’est vu refuser l’accès aux données du RNC, jusqu’à cette date.

  • La « recette secrète » de Cambridge Analytica

L’entreprise britannique reste de son côté très floue sur l’étendue de ses succès et son fonctionnement exact, qu’elle aime comparer à une recette secrète. « Nous cuisinons un gâteau, il y a dix ingrédients dedans. La psychographie est juste l’un d’entre eux. C’est très difficile d’isoler exactement quel est son impact », expliquait il y a un an au New York Times Alexander Nix, le patron désormais écarté de Cambridge Analytica.

Dans une campagne qui a défié tous les pronostics, cette dernière semble n’avoir été qu’un rouage dans un engrenage plus vaste, dans lequel Facebook a lui-même activement joué un rôle. Tout comme YouTube, le réseau social de Mark Zuckerberg a en effet fourni à l’équipe de Donald Trump des employés pour l’aider à mieux comprendre la manière dont les publicités ciblées fonctionnaient, un service qui a également été proposé à Hillary Clinton.