L’avis du « Monde » – à voir

Tourné en noir et blanc, dans un paysage hivernal qui évoque le printemps glacial de 1945, The Captain (L’Usurpateur) prend la forme brutale et précise d’une scène de la guerre de Trente Ans gravée par Jacques Callot. Robert Schwentke, réalisateur allemand exilé à Hollywood (Red, Divergente…), revient au pays et remonte dans le temps pour mettre en scène avec lucidité un épisode de l’effondrement de l’Allemagne hitlérienne.

Le film s’ouvre sur une scène de chasse : un conscrit au visage crasseux court à perdre haleine pour échapper à un commando. Poursuivi et poursuivants portent des uniformes de la Wehrmacht. Les Alliés ont pénétré sur le territoire du Reich et l’une des tâches prioritaires du régime agonisant est de réprimer les traîtres réels ou présumés. Le déserteur, un gamin blond aux traits encore enfantins, s’échappe de justesse. Alors qu’il va succomber au froid et à la faim, il trouve sur une route de campagne une voiture militaire abandonnée. Dans le réservoir, de l’essence. Dans une valise, un uniforme de capitaine de la Luftwaffe.

Le deuxième classe Herold (Max Hubacher) se vêt de l’habit noir, coiffe la casquette et se lance, d’abord avec un peu d’hésitation, puis avec une assurance irrésistible, dans une brève mais fulgurante carrière de criminel de guerre. Il rassemble sous sa jeune autorité une bande faite de désespérés qui voient en lui l’assurance d’un repas chaud, de soudards expérimentés et de gamins perdus. Après avoir terrorisé quelques fermiers, le groupe d’Herold s’installe dans un camp de prisonniers où ont été enfermés des déserteurs allemands.

La perversion des institutions

Dans ce décor funèbre, Robert Schwentke met en scène la transformation d’un lieu de détention en lieu d’extermination. Se prévalant d’ordres oraux du Führer, Herold tente de persuader les policiers, soldats et SS qui encadrent le camp de procéder à l’élimination des détenus. Ce n’est pas tant le désarroi suscité par l’imminence de la défaite qui conduit les bons pères de famille houspillés par l’imposteur à prendre des décisions aberrantes que l’habitude de la soumission. L’image se fait alors presque expressionniste pour mettre en scène cette perversion des institutions – la justice, la fonction publique – et ceux qui les servent. Max Hubacher fait passer de vagues scrupules, des peurs fugaces sur le visage du faux capitaine, aussitôt masqués par son aplomb infernal.

L’épisode du camp de prisonniers donne au film une tournure quasi allégorique

L’épisode du camp de prisonniers occupe la partie centrale de The Captain (pourquoi pas Le Capitaine ou Der Hauptmann ? On finira par croire que les études de marché ont définitivement démontré que les amateurs de cinéma d’auteur étaient d’une anglophilie imbécile). Il donne au film une tournure quasi allégorique et se conclut si brutalement qu’on aurait aimé que le film s’arrêtât sur ce coup de tonnerre.

Mais l’histoire du « capitaine » Herold n’est pas sortie de l’imagination de Robert Schwentke, qui signe le scénario. A la tête de sa petite bande, le jeune déserteur a écumé la Basse-Saxe avant d’être arrêté à quelques jours de l’armistice. Entre picaresque et sordide, ces tribulations qui allongent le film n’ont pas la force terrible des séquences qui précèdent. Reste celle du procès expéditif d’Herold, lorsque les vestiges du système finissent par l’arrêter : cédant à la logique qui les gouverne depuis 1933, ces messieurs de la cour finissent par convenir que le déserteur assassin a fait preuve de toutes les qualités que l’on pouvait attendre d’un bon nazi.

THE CAPTAIN Bande annonce (2018) ROBERT SCHWENTKE
Durée : 01:49

Film allemand de Robert Schwentke. Avec Max Hubacher, Milan Peschel, Frederick Lau (1 h 58). Sur le Web :
alfamafilms.com/film/the-captain-l-usurpateur