A l’hôpital de Damas, après l’attaque de Jaramana. Photo de SANA, l’agence  officielle du régime de Damas. / HO / AFP

Dans l’est de Damas et ses alentours, non loin de la ligne de front, depuis un mois et le début de l’offensive des forces prorégime contre l’enclave rebelle de la Ghouta orientale, des milliers d’enfants ne vont plus à l’école, ou seulement en pointillés. « De nombreux parents préfèrent garder leurs enfants chez eux, par crainte des violences. Les tirs d’obus par les rebelles, plus ou moins intenses, sont quasi quotidiens à proximité de la Ghouta orientale », explique Houssam, un habitant de Damas qui témoigne sous pseudonyme.

« La tension est très forte, la peur aussi. Même si on a connu des périodes plus dures au début de la guerre », ajoute-t-il. Mardi 20 mars, c’est dans un faubourg de Jaramana, une banlieue à l’est de Damas, que s’est produite l’une des attaques les plus meurtrières depuis cinq ans dans la région de la capitale : au moins 44 personnes ont été tuées par une roquette, alors qu’elles se trouvaient dans une rue commerçante.

Selon les témoignages, la déflagration a été très puissante. Les médias d’Etat ont attribué le tir meurtrier aux « groupes terroristes » de la Ghouta orientale, en référence aux rebelles. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) a rendu compte de l’attaque, sans en préciser l’origine ni les auteurs. Cette organisation, qui dresse le décompte macabre des victimes du conflit syrien, affirme que les tirs rebelles ont fait des dizaines de morts et des centaines de blessés au cours des quatre derniers mois à Damas et dans ses environs.

« Les insurgés prolongent les souffrances des habitants »

Depuis le début de la guerre, Jaramana a déjà été ensanglantée par des attentats ou des tirs d’obus sporadiques. « Mais jamais une attaque à la roquette aussi grave ne s’était produite, insiste Houssam. C’est d’autant plus tragique qu’il s’agit d’une zone où beaucoup de déplacés de la Ghouta orientale ont trouvé refuge au cours des dernières années. Ils vivent l’offensive dans l’angoisse pour leurs proches et pour leur avenir : où retourneront-ils un jour, au milieu d’une telle destruction ? »

Si, dans l’est de Damas, la vie est « paralysée », selon Houssam, elle poursuit son cours dans le reste de la ville, où les tirs d’obus sont rares. Les coupures d’électricité ont cessé. Les employés continuent de se rendre au bureau, même si l’activité tourne au ralenti. On y vit au son continu des bombardements aériens et des tirs d’artillerie des forces prorégime sur la Ghouta orientale, qui ont fait plus de 1 500 morts parmi les civils depuis le 18 février, selon l’OSDH.

« Tout le monde, dans la capitale, veut que l’offensive se termine au plus vite, affirme Anas (le prénom a été modifié), un habitant de Damas. Mais les approches sont différentes : certains déplorent l’intensité du déluge de feu qui s’abat sur la Ghouta orientale, tout en considérant que les insurgés prolongent les souffrances des habitants en refusant de rendre les armes. Car c’est un combat perdu d’avance pour eux. D’autres au contraire, les plus radicaux, veulent que la poche rebelle soit durement matée. »

« Cycle de vengeance »

Pour les loyalistes les plus convaincus, la reprise de la Ghouta orientale sera une nouvelle étape vers la reconquête totale du pays par l’armée et ses alliés. Ils se félicitent déjà de la victoire à venir. La visite de Bachar Al-Assad sur le front, le 18 mars, les a galvanisés. Et la première évacuation de combattants insurgés, prévue jeudi, leur semble un signe supplémentaire d’un dénouement rapide : les islamistes d’Ahrar Al-Cham et leurs familles doivent être transférés dans les territoires rebelles du nord-ouest de la Syrie.

Les bus affrétés pour l’évacuation des islamistes d’Ahrar Al-Cham, le 22 mars dans la Ghouta orientale. / LOUAI BESHARA / AFP

« Du point de vue des autorités, il était inconcevable de maintenir une présence rebelle aux portes de Damas. La possibilité que des obus tombent sur la capitale réduisait à néant les efforts du gouvernement pour présenter la ville comme sûre et attirer des investisseurs », commente un observateur qui se rend régulièrement en Syrie. Parmi les habitants de Damas, l’opinion est répandue que le front de la Ghouta orientale s’est enflammé depuis l’automne car il sert de terrain de confrontation aux puissances étrangères actives dans le conflit. Ils confient leur épuisement face à la guerre et leur aspiration à tourner la page.

« Mais que va-t-il se passer ensuite, une fois que les combats cesseront ?, se demande, pessimiste, Houssam. La violence à l’œuvre ne fait que nourrir un peu plus la haine. Elle va attiser un cycle de vengeance. » Selon lui, si la « stabilité » revient dans la région de Damas, cela ne mettra fin « ni à la pauvreté dans laquelle sont plongés les Syriens, ni à la peur ambiante, notamment celle des jeunes, d’être envoyés au service militaire ». « On est loin de voir la fin de nos souffrances », conclut-il.