Charles Maurras (1868-1952) dans les locaux de « L’Action française » à Paris en janvier 1930. / AFP

Affaire Charles Maurras, suite. Mercredi 21 mars, dix des douze membres du Haut Comité des commémorations nationales ont annoncé qu’ils en démissionnaient, estimant, dans une lettre ouverte à la ministre de la culture, Françoise Nyssen, que la décision prise par celle-ci, le 28 janvier, de rappeler le Livre des commémorations nationales 2018 pour en retirer le nom du théoricien du « nationalisme intégral » (1868-1952), les empêchait de « continuer à siéger avec, en permanence, la menace soit de la censure, soit de l’autocensure ».

Pourquoi avoir attendu près de deux mois ? L’un des démissionnaires, l’historien et ancien secrétaire d’Etat Jean-Noël Jeanneney, affirme que les membres du Haut Comité ne voulaient rien précipiter, et ont considéré qu’une réunion prévue de longue date leur permettrait de réfléchir et d’agir avec « le recul de la sérénité », car ils estiment que le rôle « des réseaux sociaux et de leur immédiateté » fut prépondérant dans la décision prise par la ministre.

Dans un premier temps, celle-ci avait préfacé le Livre des commémorations nationales 2018, s’adressant ainsi au lecteur de cet ouvrage qui recense les dates marquantes dont l’année en cours est l’occasion de se souvenir : « A vous qui aimez l’histoire de France, à vous qui aimez la voir reprendre vie, je conseille chaleureusement la lecture du Livre des commémorations nationales de 2018. II vous apportera, j’en suis sûre, un grand plaisir et de belles émotions ! »

Débat d’historiens

Mais le 26 janvier, le site Bibliobs note la présence, parmi les événements répertoriés, de la naissance de Charles Maurras, l’écrivain et journaliste antisémite, anti-républicain, qui dirigea L’Action française, et fut condamné en 1945 à la réclusion à perpétuité et à la dégradation nationale pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi.

Lire le point de vue de l’historien Sébastien Ledoux : Il est difficile d’évoquer Maurras « dans le cadre de commémorations publiques »

Après les protestations d’associations antiracistes, et de celles du délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (Dilcra), Frédéric Potier, notant sur Twitter « Commémorer, c’est rendre hommage », la ministre annonce le rappel du livre afin de « lever l’ambiguïté ». Dans Le Monde du 30 janvier, deux membres du Haut Comité, Jean-Noël Jeanneney et Pascal Ory, signent une tribune où ils expliquent : « Commémorer, ce n’est pas célébrer. C’est se souvenir ensemble d’un moment ou d’un destin. » – entraînant un débat d’historiens.

Lire le point de vue de Pascal Ory et Jean-Noël Jeanneney, historiens : « Commémorer, ce n’est pas célébrer »

La lettre ouverte adressée à la ministre le 21 mars revient sur cette « distinction essentielle », et rappelle que le Haut Comité, créé en 1974, fut celui des « célébrations nationales » jusqu’en 2011. Date à laquelle la mention, parmi les événements de l’année, des cinquante ans de la mort de Louis-Ferdinand Céline entraîna une controverse, à l’issue de laquelle Frédéric Mitterrand choisit de faire de ce Haut Comité celui des « commémorations nationales ».

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En prenant acte de la démission des dix membres, Françoise Nyssen souligne pour sa part dans un communiqué que la polémique Maurras « a mis en lumière l’existence d’une ambiguïté persistante dans le débat public entre “célébration”, “commémoration” et “devoir de mémoire” » : « Il a donc été décidé de clarifier le statut, le fonctionnement et les publications du Haut Comité aux commémorations nationales. »

L’écrivaine et académicienne Danièle Sallenave, présidente du Haut Comité (non démissionnaire), est chargée de mener cette réflexion. En attendant, le cent cinquantenaire de la naissance de Maurras sera marqué le 19 avril par la publication chez Bouquins d’un recueil de textes intitulé L’Avenir de l’intelligence.