A la Game Developpers Conference sont apparus les premiers badges à l’effigie de la première organisation de défense des salariés du jeu vidéo. / Gal An

Quarante-six ans après ses débuts comme industrie, le jeu vidéo a-t-il enfin son « internationale » ? La Game Workers Unite (GWU), première structure mondiale de défense des intérêts des employés du secteur, a vu le jour le 19 mars en marge de la Game Developers Conference, le grand rassemblement annuel qui se tient chaque année à San Francisco.

« Game Workers Unite est une organisation à grande échelle qui cherche à connecter les militants syndicalistes, les travailleurs exploités, et les alliés sans limites de frontières ou d’idéologies, en vue de construire une industrie du jeu vidéo syndiquée », explique la GWU sur son site.

Il s’agit de la première structure du genre, alors que le secteur est dominé par des lobbys représentant les intérêts des grands groupes. Les conditions de travail sont régulièrement contestées au sein de l’industrie, en raison notamment de la pratique du « crunch », des semaines pouvant atteindre 60, voire 80 heures de travail.

Protéger un métier passion

« Je suis là pour faire des jeux. Mais le truc, c’est que la passion est le levier idéal pour que les employeurs nous exploitent », relate au site spécialisé américain Polygon l’une des fondatrices de la GWU, la développeuse connue sous le pseudonyme d’Emma Kinema. « Nous ferions n’importe quoi pour travailler dans les jeux vidéo et faire des jeux, et ils savent que nous sommes prêts à tout. [Mais vous] pouvez être passionné par les jeux tout en étant défendu correctement. »

Sur son site, la GWU précise être dirigée exclusivement par des travailleurs ou des indépendants, mais « encourage activement les employeurs, les universitaires, et les autres à s’engager dans la communauté pour aider à soutenir les actions directes de l’organisation, tant matériellement qu’en termes de visibilité ».

La GWU a été créée à la mi-mars de manière « organique et spontanée » par une centaine de professionnels réunis sur un canal de l’application Discord, relate au Monde un de ses fondateurs. Parmi eux, des développeurs issus des Etats-Unis, du Canada, de la Suède, d’Australie, du Brésil, ou encore d’Argentine.

L’organisation invite pour l’instant les « salariés exploités » et les « victimes du lieu de travail » à témoigner sous anonymat sur leurs « histoires d’horreur » et « leurs histoires de harcèlement et d’agression ».

Précédent français

Si des réflexions sur la défense des salariés existent localement depuis des années, l’organisation est née en réaction à deux entretiens donnés par la présidente de la principale association de représentation des studios, l’International Game Developers Association (IGDA). Tout en reconnaissant les effets néfastes du crunch, Jean MacLean a mis en doute le 19 mars la capacité de l’industrie à se syndiquer, et estimé que l’accès au capital était plus urgent.

La création de la jeune organisation a été appuyée par le Syndicat des travailleurs du jeu vidéo français (STJV), le premier syndicat du genre, fondé à l’été 2017. Un cadre du STJV contacté par Le Monde évoque « un mouvement mondial qui est en train de se créer ». Selon Gal An, porte-parole du STJV, qui ne s’exprime que sous pseudonyme, le STJV « apporte son savoir-faire et son expérience » au GWU.

Plusieurs affaires ont éclaté dans l’industrie du jeu vidéo française depuis l’automne 2017, dans la foulée du mouvement #metoo et de la création du STJV : enquête sur le sexisme du milieu, révélations sur les problèmes de management au sein du studio Quantic Dream, contestations et grève au sein d’Eugen Systems

Le STJV ne fait toutefois pas l’unanimité. Certains, notamment chez les dirigeants, s’inquiètent d’un discours qualifié de « paléomarxiste » chez ce syndicat encore balbutiant, et au nombre d’adhérents encore flou, et mettent en doute l’efficacité de ses méthodes.