Façade de la China Europe International Business School (CEIBS), à Shanghaï. / Marc van der Chijs, CC 2.0, Flickr

Il y a un intrus dans le Top 10 mondial des MBA : aux côtés d’institutions comme Wharton, l’Insead, Harvard ou Cambridge, qui se partagent les premières places depuis des décennies, on trouve au huitième rang, dans le classement publié par le Financial Times le 29 janvier 2018, une école chinoise, installée à Shanghaï. La China Europe International Business School (CEIBS) est la seule école non occidentale, et la plus jeune parmi les dix premières mondiales du classement du quotidien britannique, qui fait autorité.

Créée en 1994, la CEIBS est le fruit d’un partenariat entre la Chine et l’Union européenne, qui visait à aider la Chine à former ses élites économiques. L’école compte plusieurs Européens parmi ses cadres, des partenariats avec une trentaine d’établissements parmi les meilleurs du monde (dont HEC, Insead). Plus récemment, la CEIBS s’est encore internationalisée en ouvrant un campus à Zurich et un autre à Accra, au Ghana.

Variables structurelles favorables

S’ils sont fiers de leur position, ses dirigeants reconnaissent volontiers que le succès de leur école bénéficie en partie de facteurs externes. L’ascension de la deuxième puissance économique mondiale, toujours en expansion, ­alimente la demande pour des cadres de haut niveau, ayant une bonne connaissance du pays et de l’Asie.

« Le fait qu’on soit dans une économie beaucoup plus dynamique que l’économie européenne nous aide beaucoup. » Ding Yuan, doyen de la CEIBS

En janvier a été annoncé le recrutement de l’ancien premier ministre français ­Dominique de Villepin comme professeur émérite. Il animera à Shanghaï des conférences sur « plusieurs thèmes majeurs, de l’initiative de la “nouvelle route de la soie” à la nouvelle concurrence économique mondiale, en passant par l’art et la culture », dit-on à la CEIBS. L’école avait déjà un autre ex-premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, à son conseil d’administration.

« Il y a des variables structurelles qui nous favorisent, on le reconnaît, explique Ding Yuan, le dean (doyen) de l’école, un professeur franco-chinois, ancien enseignant à HEC. Sur des indicateurs comme le taux d’insertion et la croissance des salaires, le fait qu’on soit dans une économie beaucoup plus dynamique que l’économie européenne, par exemple, nous aide beaucoup. »

La progression de l’économie chinoise ne bénéficie pas qu’à la CEIBS. Derrière l’école sino-européenne, Hong Kong University of Science and Technology (HKUST) se classe 14e au classement du FT, et l’on trouve dans le Top 50 l’université de Hongkong, CUHK (Chinese University of Hong Kong), les universités Jiao-tong et Fudan, à Shanghaï, et l’université du Peuple (Renmin University of China School of Business), à Pékin. A titre de comparaison, derrière le numéro un français, l’Insead, qui a rétrogradé à la 2place cette année, HEC pointe à la 21place, et l’Edhec, l’Essec et l’EM Lyon apparaissent dans le dernier quart du Top 100.

Une histoire à écrire

Le nombre de MBA a explosé depuis le début des années 2000 en Chine. Alors que, en 1991, le pays ne comptait qu’une centaine d’étudiants inscrits dans ce type de grandes écoles, il en compte aujourd’hui environ 35 000 par an, dont 6 000 en Executive MBA (des formations à temps partiel). Les programmes sont très différents entre les universités de province et celles de grandes villes, qui affichent des partenariats avec les meilleures écoles du monde. Les tarifs s’en ressentent, oscillant ­entre l’équivalent de 6 400 euros et de 52 000 euros (pour la CEIBS).

« Du fait du développement économique chinois et de l’installation de nombreuses entreprises étrangères dans le pays, il est naturel que les talents présents dans les centres d’affaires, comme Shanghaï, renforcent la qualité des MBA. Jiao-tong et Fudan sont montés dans les classements grâce à la qualité de leurs personnels, étudiants comme professeurs », analyse Eric Skuse, directeur de recherche associé chez Emerging Strategy, un cabinet de conseil américain.

« A la CEIBS, c’est à notre génération de définir l’esprit de l’école. » Yuni Cao, inscrite à la CEIBS

Yuni Cao fait partie de ces talents qu’a réussi à attirer la CEIBS. La jeune femme chinoise, éduquée entre la France et les Etats-Unis, n’a pas choisi l’école au hasard. Formée à Sciences Po Paris, elle est passée par Berkeley pour une ­année d’échange, puis par HEC. Après des années chez Morgan Stanley, au département fusion acquisition, elle a choisi la CEIBS, à la fois pour la ville de Shanghaï et pour la fraîcheur de l’établissement.

« Berkeley, Sciences Po, HEC sont des écoles plus établies. Il y a un meilleur réseau, mais elles ont une identité, forgée il y a longtemps, qui, d’une certaine manière, modèle les élèves, dit-elle dans un français presque parfait. Ici, j’ai trouvé un autre type de liberté qui a plus de valeur pour les entrepreneurs : l’impression qu’il n’y a pas de barrières. A la CEIBS, c’est à ­notre génération de définir l’esprit de l’école. »

Participer à la globalisation d’entreprises chinoises

Une histoire qui reste à écrire, même si l’école n’en est plus à ses débuts. Pour le doyen, un tournant a eu lieu il y a quelques années. « Avant, on était un endroit où former des Chinois pour aller travailler dans les multinationales présentes en Chine. Depuis deux ou trois ans, on a plus d’offres d’emploi en provenance des ­entreprises chinoises privées que des multinationales », affirme Ding Yuan.

« Pour les étrangers aussi, il y a un changement de motivation. Les premiers venaient par curiosité, maintenant, ils viennent pour des projets plus spécifiques. » Ding Yuan, doyen de la CEIBS

De plus en plus d’entreprises chinoises, comme Huawei (technologies de l’information), JD. com, Tencent ou Alibaba (e-commerce), cherchent en effet à s’internationaliser. « Pour les étrangers aussi, il y a un changement de motivation, poursuit le dean de la CEIBS. Les premiers venaient par ­curiosité, cherchant à participer à la croissance phénoménale chinoise. Mais maintenant, ils viennent pour des projets plus spécifiques. Beaucoup parlent des sociétés innovantes chinoises et veulent participer à leur globalisation. »

De fait, les géants chinois du Web, comme Tencent, spécialiste des réseaux sociaux et des jeux vidéo dont la valorisation boursière dépasse ­Facebook, ou Alibaba – « l’Amazon chinois », dit-on en Occident –, ne laissent pas les étudiants étrangers indifférents. Valentina Kalendina, une élève russe de première année du MBA de la CEIBS, est entrée à l’école avec plusieurs projets de création d’entreprise. Après un semestre à Shanghaï, « je m’intéresse beaucoup aux entreprises chinoises qui cherchent à se développer à l’étranger, dit-elle. Alibaba se développe en Russie : Aliexpress est très populaire chez nous ». Créé en 2010 pour la vente de produits à prix de gros à l’international, Aliexpress. com est l’équivalent en anglais du site Taobao d’Alibaba.

Autre point fort de l’école, pour la jeune femme, l’étude de cas d’une économie en développement, plus proche de la situation russe. « Je lis les journaux économiques et j’ai collaboré avec des entreprises américaines dans mon travail, poursuit-elle. J’ai l’impression de comprendre assez bien le fonctionnement des économies développées. Mais je ne connaissais rien de l’économie chinoise, et je pense que la Russie peut apprendre du succès chinois. »

Parmi les études de cas enseignées à la CEIBS, le modèle économique de Mobike, une start-up fondée en 2016 qui domine le marché des vélos partagés en Chine ; ou encore Maotai, la marque de baijiu (un alcool de grain à plus de 40°) la plus réputée de Chine, dont la capitalisation boursière s’est envolée cette année.

Difficile adaptation culturelle

Pour autant, les élèves étrangers de la CEIBS ne cachent pas les difficultés liées à l’immersion en Chine. « Entre le quotidien, parfois compliqué pour les étrangers, les cours de chinois et les cours d’économie, j’ai l’impression d’être débordée, confie Mlle Kalendina. C’est très compétitif ici. Pour les étudiants chinois, il est normal de ­réviser ses cours jusqu’à une heure du matin tous les jours ! » Apricot Wilson, étudiante anglaise passée par Cambridge, reconnaît aussi les ­problèmes d’adaptation, mais les prend avec plus de philosophie : « Mes camarades chinois m’aident beaucoup pour les tâches administratives, ou pour ouvrir un compte en banque »

« C’est très compétitif ici. Pour les étudiants chinois, il est normal de réviser ses cours jusqu’à une heure du matin tous les jours ! » Valentina Kalendina, élève russe du MBA de la CEIBS

Les élèves chinois représentent 60 % de ­l’effectif du master, l’occasion de se frotter aux différences culturelles qui touchent le monde des affaires. Les travaux réguliers par groupe de cinq permettent ainsi de confronter les différents points de vue. « Je me retrouve souvent la seule à penser d’une certaine façon, alors que les quatre étudiants chinois de mon groupe sont d’accord entre eux », raconte Valentina Kalendina. Avant de préciser qu’elle avait justement choisi la Chine pour cette confrontation à une culture différente : « Je voulais faire travailler mon ordinateur de pensée », sourit-elle.

Apricot Wilson remarque aussi qu’elle a dû s’adapter à ses camarades. « J’ai l’habitude de dire ce que je pense tout de suite, dit l’étudiante britannique. Dans ce cas-là, les Chinois ont tendance à dire “oui oui…”, mais pour avoir leur opinion, j’ai dû apprendre à écouter. »

Dernier défi culturel, peut-être : la jeune Apricot note qu’à la CEIBS, « on fait moins la fête qu’à Cambridge », où les « house parties » s’enchaînaient… A la place, elle a dû se faire aux soirées karaoké !