La République démocratique du Congo (RDC), qui abrite la deuxième forêt tropicale au monde après le Brésil, est l’une des cibles prioritaires dans la lutte contre la déforestation que financent les agences d’aide multilatérales et les bailleurs de fonds bilatéraux comme la Norvège ou la France. Les forêts de RDC séquestrent environ 8 % du carbone forestier mondial.

Située au nord de Kinshasa, la province de Maï-Ndombe (une partie de l’ancienne province du Bandundu), vaste comme un quart de la France et couverte à près de 90 % de forêts, a été choisie par la Banque mondiale pour devenir en RDC le laboratoire du programme international REDD (réduction des émissions liée à la déforestation et à la dégradation des forêts). Cet outil, adopté dans le cadre des négociations climatiques, promet de rémunérer par des crédits carbone les pays ou, dans ce cas précis, une région qui parviennent à freiner le rythme de la déforestation.

Alors que la Banque mondiale envisage de signer un accord de rémunération avec la province de Maï-Ndombe, ce qui en ferait le premier du genre, la coalition d’ONG Rights and Resources Initiative (RRI), spécialisée dans l’environnement et le respect des droits des populations autochtones, met en garde, dans un rapport publié le 14 mars, contre l’éviction des communautés locales dont la survie dépend des forêts et l’absence de cadre solide pour gérer les dizaines de millions de dollars attendus. « La province de Maï-Ndombe n’est tout simplement pas prête », explique Marine Gauthier, auteure du rapport.

Vous avez évalué les 20 projets susceptibles de générer des crédits carbone et vous affirmez qu’ils ne permettront de réduire ni la déforestation, ni la pauvreté. Pourquoi ?

Marine Gauthier Ces projets, en l’état, ne permettent pas de remplir les objectifs de REDD, qui sont de lutter contre la déforestation tout en améliorant les conditions de vie des populations. De nombreux conflits existent sur le terrain entre les porteurs de projets et les communautés locales, dont l’accès à la forêt se trouve restreint : 1,8 million de personnes vivent dans la province de Maï-Ndombe, dont 75 000 environ sont des Pygmées.

Ces populations demandent à pouvoir poursuivre leurs activités traditionnelles dans les forêts et que leurs droits coutumiers soient reconnus, même si elles n’ont pas de titres fonciers. Les autorités locales accordent des concessions forestières pour la conservation ou l’exploitation sans les consulter et sans expliquer ce qui va se passer. L’entreprise canadienne WWC, qui possède la seule concession de conservation certifiée capable de vendre des crédits carbone, interdit aux populations de pratiquer la cueillette et la chasse, comme elles l’ont toujours fait sans dégrader la forêt.

Le consentement préalable est pourtant obligatoire…

Les consultations ont été bâclées car elles ont été réalisées par des experts qui ne connaissaient pas ces communautés et ne s’exprimaient pas dans leur langue. Cela crée beaucoup d’inquiétudes. Les communautés voient qu’il se passe quelque chose qu’elles ne comprennent pas. Elles n’ont aucune idée de ce qu’est le programme REDD. Des personnes m’ont dit : « Quelqu’un est venu nous dire qu’il allait séquestrer notre air pour le vendre sur un marché. Comment va-t-on respirer ? Et où vont-ils mettre ce marché ? Nous en avons déjà un dans le village. »

Vous alertez sur l’absence d’institutions pour gérer un programme de cette envergure.

Une entité régionale devait être créée pour gérer la vente des crédits carbone et veiller, grâce à un accord de partage des bénéfices, à ce que les communautés locales perçoivent une part des revenus. Or rien de tout cela n’existe. La province de Maï-Ndombe n’est tout simplement par prête pour que la Banque mondiale s’engage dans un financement à vaste échelle. Si cette institution devait aller plus loin sans respecter des droits des populations locales, cela constituerait un dangereux précédent.

Vous ne contestez pas la nécessité de s’attaquer à la déforestation dans cette province ?

La province de Maï-Ndombe est proche de Kinshasa, qui compte 11 millions d’habitants et subit en conséquence une forte pression sur les terres. Mais il ne faut pas imaginer qu’il sera possible de lutter contre la déforestation en parachutant des projets d’en haut. Dans un contexte de mauvaise gouvernance et de corruption, c’est aller vers l’échec.