Manifestation nationale des cheminots contre le projet de réforme de leur statut à Paris le 22 mars 2018 - 2018©Jean-Claude Coutausse / french-politics pour Le Monde / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH- POLITICS POUR LE MONDE

La balle est maintenant dans le camp du gouvernement. C’est du moins ce que les syndicats considèrent, estimant que la journée d’actions, jeudi 22 mars, est « une réussite ». Les cheminots ont défilé à Paris, les fonctionnaires sur l’ensemble du pays. En tout, « plus de 180 rassemblements et manifestations partout en France, regroupant plus de 500 000 manifestants dans les rues », s’est réjoui la CGT. Selon le ministère de l’intérieur, ils étaient 323 000. A titre de comparaison, la précédente manifestation des seuls fonctionnaires, le 10 octobre 2017, avait attiré entre 209 000 et 400 000 personnes selon les sources. Le 22 mars marque donc un étiage plutôt haut.

Chacun est venu avec ses revendications, avec l’idée commune de défendre les services publics. Les quatre syndicats représentatifs de la SNCF (CGT, UNSA, SUD-Rail, CFDT) entendaient protester contre la réforme ferroviaire et l’ouverture à la concurrence du rail. Selon un comptage réalisé par le cabinet Occurrence pour un collectif de médias dont Le Monde, ils étaient 13 100, soit moins que les chiffres donnés par la Préfecture de police et les syndicats (16 500 et 25 000).

« Nous pouvons gagner »

Les cheminots ont davantage fait grève qu’attendu à l’appel de l’UNSA et SUD, avec un taux de 35,4 % de grévistes selon la direction. Un avertissement pour le gouvernement. Laurent Brun, secrétaire général de la CGT-Cheminot, premier syndicat de l’entreprise publique, a salué, avant le départ de la manifestation, « une réussite extraordinaire ». « Tous ensemble nous allons gagner, nous pouvons gagner », a-t-il ajouté. Le calendrier de leur mouvement est déjà fixé : à partir du 3 avril, une grève en pointillé est prévue du 3 avril au 28 juin. Reste à savoir comment réagira l’opinion publique face à ces arrêts de travail qui risquent de désorganiser le trafic.

Dans la capitale, leur cortège a retrouvé celui des fonctionnaires place de la Bastille. Selon le décompte du cabinet Occurrence, ces derniers étaient 34 700 dans la capitale (32 500 selon la Préfecture de police et 40 000 selon la CGT). Le taux national de grévistes, à 12,8 % pour la fonction publique d’Etat, 8,11 % pour la territoriale, et 10,9 % dans l’hospitalière, selon des estimations du ministère, a légèrement baissé par rapport au 10 octobre. Contrairement à cette date, seuls sept des neuf syndicats représentatifs avaient demandé aux agents de se mobiliser ; la CFDT et l’UNSA (2e et 4e syndicat) jugeant cette action « prématurée ».

« Le gouvernement doit maintenant ouvrir de véritables négociations, sinon il portera la responsabilité de la poursuite du mouvement », estime Jean-Marc Canon, secrétaire général de la CGT-Fonctionnaires. Tout est dans le terme « véritable ». Car, formellement, organisations syndicales et gouvernement sont déjà engagés dans une concertation. Devant durer une année, elle porte sur les quatre chantiers que le premier ministre a ouverts le 1er février : rénovation du dialogue social, accentuation de la rémunération au mérite, recours accru aux contractuels, plans de départs volontaires. Mais pour les syndicats, il s’agit d’« une parodie de concertation puisque le gouvernement a déjà fixé le but à atteindre ». Opposés à la réforme telle qu’elle se présente, ils demandent surtout à parler pouvoir d’achat. Dans un Tweet publié vendredi matin, Gérald Darmanin rappelle, lui, qu’outre la rémunération au mérite, « des rattrapages dans les métiers les moins bien payés » seront effectués.

Les syndicats se retrouveront mardi 27 mars pour envisager la suite. Deux jours plus tard, ils ont rendez-vous avec Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat. « On attend que le gouvernement bouge, sinon, il se passera quelque chose », prévient Christian Grolier (FO). Et cette fois, la CFDT pourrait être de la partie : « Soit ils écoutent et ce sera un coup de semonce et il n’y aura pas de suite, soit ils n’écoutent pas et là, je vous le dis, les fonctionnaires, y compris les militants de la CFDT des fonctions publiques, seront extrêmement mobilisés », a mis en garde Laurent Berger, son secrétaire général, jeudi matin sur RTL.

« Répondre aux inquiétudes »

La CGT, elle, a déjà un plan de bataille en tête : au-delà de ces journées sectorielles, elle a proposé, jeudi soir dans un communiqué, l’organisation d’une journée nationale de mobilisation interprofessionnelle le 19 avril, « dans la recherche de convergence des luttes », sur les thèmes du « pouvoir d’achat » mais aussi de « l’emploi et la protection sociale, les services publics et les droits collectifs ». Une date suffisamment lointaine pour tenter de convaincre ses homologues de la suivre mais qui tombe en pleines vacances scolaires de la zone A et C. Le résultat est loin d’être gagné d’avance. « La convergence des luttes, ce n’est pas la tasse de thé de la CFDT, pour une raison simple, c’est que la convergence des luttes, elle ne permet jamais d’avoir des résultats concrets », avait indiqué M. Berger sur RTL.

Le président de la CFE-CGC, François Homméril, lui, reste « prudent » mais note une évolution dans la méthode de la CGT. « Si elle le “propose”, c’est que c’est à débattre. Donc, c’est que l’on progresse dans la concertation intersyndicale, indique-t-il. Il faut voir ce que chacun tire du 22 mars et quel peut être le “slogan” fédérateur d’une telle journée. » A FO, la réponse pourrait être plus ouverte, la confédération s’apprêtant à tourner une page lors de son congrès fin avril. « Cela fait un an que le gouvernement dit qu’il réforme mais il ne réforme pas, il déforme, critique Pascal Pavageau, qui s’apprête à succéder à Jean-Claude Mailly à la tête du syndicat. Il pose des bombes à fragmentation qui n’explosent pas toutes en même temps. »

Du côté de l’exécutif, qui a affiché ces derniers jours sa fermeté, on se veut à l’écoute. « Ces manifestations montrent qu’il y a encore des inquiétudes et il faut y répondre, indique-t-on à Matignon. C’est le rôle de la concertation, menée sur la SNCF par Elisabeth Borne et sur les fonctionnaires par Olivier Dussopt. » Mais un proche du chef de l’Etat ajoute : « Le postulat de départ qui est que les Français veulent que ça bouge reste vrai, il n’est pas question de ralentir ou de s’arrêter. »