Les riverains du port de Mutsamudu ne prêtent plus guère attention à ce manège à peine discret : dans la capitale de l’île comorienne d’Anjouan, les clandestins embarquent pour l’île française de Mayotte et, souvent, en reviennent aussi vite. Employé à la manutention du port, Defala Andili voit les expulsés « débarquer sans rien, hommes, femmes et enfants, même des nourrissons, sans bagages, avec une bouteille d’eau vide ». « Après, explique-t-il, ils s’évanouissent dans la nature. »

Les autorités de Moroni considèrent que Mayotte fait partie de leur territoire et, par conséquent, que ceux que la France traite comme des migrants clandestins ne sont que de simples voyageurs. Aucune structure n’est donc prévue pour accueillir les expulsés du département français, à 70 km de là. « Ils sont discrètement pris en charge par les réseaux de passeurs avant d’être redirigés vers les différents points de départ vers Mayotte pour un prochain voyage, confie un gendarme comorien sous couvert d’anonymat. Ceux qui peuvent payer pourront repartir. »

Chaque année, quelque 20 000 personnes parties clandestinement de l’archipel des Comores dans l’espoir d’une vie meilleure sur l’île française, plus riche, sont renvoyées vers leur point de départ faute de papiers en règle. Ce flux migratoire pourrit les relations entre les deux pays depuis l’indépendance acquise, en 1975, par trois des quatre îles comoriennes. La quatrième, Mayotte, a choisi de rester dans le giron de la France, au grand dam de Moroni, qui en revendique la souveraineté.

Près de 600 expulsions en dix jours

Régulièrement, les esprits s’échauffent. C’est le cas depuis un mois, alors que Mayotte est paralysée par un mouvement de contestation sociale qui dénonce l’immigration clandestine en provenance des Comores. Les autorités françaises ont réagi en multipliant les expulsions : près de 600 ces dix derniers jours, selon une source proche de la capitainerie du port de Mutsamudu.

Rencontré place M’roni, à la sortie du port, Youssouf Salim, la quarantaine nonchalante, explique avoir été renvoyé à Anjouan il y a une vingtaine de jours. C’est déjà sa troisième expulsion, mais il ne s’en offusque pas plus que ça. « J’y retournerai mais pas tout de suite, je me repose un peu, confie-t-il. Je vais à Mayotte pour des soins. J’en profite pour entamer des démarches de régularisation de ma situation. »

Ibrahim Houssein, lui, compte une dizaine d’expulsions à son palmarès depuis 1991. La dernière remonte à seulement deux semaines. « Ce qui est insupportable, ce sont les brutalités et les humiliations des forces de l’ordre françaises, elles nous traitent comme des esclaves », dénonce-t-il. Malgré tout, ce mécanicien originaire de l’île de la Grande-Comore avoue déjà préparer sa prochaine tentative. « J’ai une femme et trois enfants qui ont la nationalité française. Deux sont en France. J’ai demandé plusieurs fois mon titre de séjour, on me l’a toujours refusé, déplore-t-il. Il faut que j’y retourne, j’ai mes enfants là-bas. »

« Les sans-papiers ne sont pas des délinquants »

Dans les rues de Mutsamudu, ceux qui partent pour Mayotte ont le soutien de la population. « Les clandestins sont chez eux à Mayotte », lance, en pleine médina, un homme qui refuse de donner son nom. « Les expulsés sont les victimes, renchérit le chef du bureau de poste, Mdama Misbahou. Mayotte n’est plus une île comorienne. Une puissance plus forte nous l’a prise et on ne peut pas la reprendre. »

Comme leurs dirigeants, beaucoup de Comoriens accusent leurs voisins de Mayotte de stigmatiser leurs compatriotes, rendus responsables de tous les maux qui frappent le département français. « Les sans-papiers ne sont pas les délinquants qu’on dit, ils cherchent du travail, assure le patron d’une entreprise de transport qui a requis l’anonymat. L’insécurité à Mayotte, c’est à cause des enfants des parents expulsés, des enfants de la rue. Le meilleur moyen d’empêcher les expulsions, c’est d’interdire aux bateaux comoriens d’aller à Mayotte et de revenir ici avec les expulsés. »

C’est chose faite depuis mercredi. Sur ordre du gouvernement de Moroni, les bateaux chargés d’expulsés ne sont plus autorisés à accoster à Anjouan.