Une affiche de campagne pour Abdel Fatah Al-Sissi, au Caire, le 19 mars. / Nariman El-Mofty / AP

La place Tahrir et les rues du centre-ville du Caire sont saturées d’affiches du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi. Ici, un commerçant de la rue, là un homme d’affaires important du pays ont fait déployer une bannière pour soutenir la candidature de l’homme fort de l’Egypte à un second mandat, lors du scrutin qui se tient du 26 au 28 mars. La profusion d’affiches masque pourtant mal l’apathie de la population face à une élection jouée d’avance. Le président Sissi concourt face à… l’un de ses partisans, Moussa Mostafa Moussa, homme politique méconnu venu sauver les apparences d’une élection pluraliste.

L’abstention, le président Sissi l’a bien compris, est son seul défi. Ses opposants, les islamistes et les révolutionnaires de 2011, ont été neutralisés et les candidats qui auraient pu capter leur vote écartés de la course. « La campagne n’est pas sur qui va gagner mais, qui va voter ? Le régime veut une forte participation pour réaffirmer sa légitimité à l’étranger. L’objectif est de faire autour de 47 % comme en 2014 », analyse le sociologue égyptien Saïd Sadek. Depuis six mois, M. Sissi martèle à l’attention des 60 millions de votants l’importance de participer pour la stabilité et la reconstruction du pays.

« Son défi est de convaincre les indécis. Les gens l’ont élu par peur en 2014. Ils l’ont vu comme un sauveur face aux Frères musulmans. Aujourd’hui, il y a la stabilité, ils ne se sentent pas obligés d’aller voter », poursuit M. Sadek. Dans l’entretien qu’il a accordé, le 20 mars, sur la chaîne privée Al-Nahar, le président Sissi a courtisé son électorat favori - les femmes et la minorité copte – en recevant la réalisatrice copte Sandra Nashat dans les jardins du palais présidentiel. En 2014, 53 % des femmes avaient voté pour lui et une majorité de la communauté copte, qui représente quelque 10 % de la population.

« Il est loyal »

Cet électorat, qu’il a choyé pendant quatre ans, pourrait à nouveau être un réservoir de votes. « C’est le premier à nous donner nos droits, bien sûr que l’on va voter pour lui, réagit Nihal, une fonctionnaire de 48 ans qui cite la présence de sept femmes au gouvernement. Il est loyal. Il a réalisé de grandes choses, on doit lui donner quatre ans supplémentaires pour poursuivre son action. » Les grands projets d’infrastructures, la réforme de l’économie et la sécurité figurent en tête des réalisations citées par ses partisans les plus convaincus. « Il a réalisé beaucoup de choses : les programmes sociaux, le doublement du canal de Suez et la nouvelle capitale. Il a hérité d’un Etat failli et a sacrifié sa popularité pour le remettre debout », assène Gamal Eddin Morsi, 65 ans, un retraité du secteur pétrolier, aujourd’hui ébéniste dans le quartier de Dokki.

Dans ce quartier de la classe moyenne cairote, rares sont ceux qui partagent cet enthousiasme. Les réformes économiques, qui se sont traduites par des coupes dans les subventions et une inflation de plus de 30 %, sont vues comme un échec. L’absence d’enjeu électoral suscite, au mieux l’apathie, au pire l’amertume. Abou Ahmed, un coursier, se dit prêt à payer 5 000 livres égyptiennes (229 euros) d’amende – au lieu des 500 livres prévues par la loi – plutôt que d’aller voter. « Il n’y a personne qui aime ce pays. Les prix sont multipliés par trois. Il y a de la corruption partout, tout le monde cherche son propre intérêt. Les petits comme nous sont piétinés », explique ce père de deux enfants.

Profusion d’affiches

L’homme dénonce une mascarade électorale. « Quel choix a-t-on ? Même l’autre candidat a dit qu’il irait voter Sissi car sa femme l’aime tellement ! On nous dit de choisir entre Sissi de face, de profil gauche ou de profil droit ! », poursuit-il, moquant la profusion d’affiches électorales du président. Moussa Mostafa Moussa a beau s’en défendre, rares sont ceux qui le voient en candidat crédible. Le président du petit parti d’opposition Al-Ghad, a en effet été un soutien de campagne du président Sissi jusqu’à la dernière heure.

« Quand j’ai vu que les autres candidats se retiraient, j’ai compris le danger d’un référendum sur la personne de Sissi. Cela donne des arguments aux Frères musulmans et à ceux qui appellent au boycott. L’abstention risquait d’être élevée, maintenant je suis là, il y a un choix », explique-t-il au Monde. L’homme a pourtant fait une campagne plus que discrète et hormis quelques critiques sur les réformes économiques, il prend soin de préciser : « Je ne me présente pas en ennemi, nous sommes sur la même voie. »

Les médias, les hommes de religion et les associations de femme se mobilisent pour pousser la population à aller voter. Si cela ne suffit pas, estime le sociologue Saïd Sadek, « le régime peut jouer un peu sur le taux de participation dans des régions où personne ne regarde. Dans les campagnes, l’appareil sécuritaire va demander aux maires et à la police de mobiliser les gens en affrétant des bus gratuits et en faisant le tour des commerces. »