L’incertitude règne sur la tenue ou non, mardi 27 mars, du second tour de la présidentielle en Sierra Leone après l’arrêt des préparatifs du processus électoral ordonné samedi par la Haute Cour à la suite d’une requête d’un juriste du parti au pouvoir concernant des allégations de fraudes. La Commission électorale nationale (NEC) a stoppé ses travaux jusqu’à « la décision » de la Haute Cour attendue lundi.

Le juriste Ibrahim Sorie Koroma, membre du Congrès de tout le peuple (APC, au pouvoir), estime dans sa requête que des accusations de fraudes électorales doivent faire l’objet d’une enquête avant que le processus électoral ne se poursuive.

Quelque 3,1 millions d’électeurs sont appelés à choisir le successeur du président Ernest Bai Koroma, qui ne pouvait plus se représenter après plus de dix ans au pouvoir. Le candidat du principal parti d’opposition, le SLPP, l’ancien général Julius Maada Bio, battu par M. Koroma en 2012, espère tenir sa revanche. Il part avec une courte avance sur Samura Kamara, économiste de formation, ancien ministre des affaires étrangères et homme lige du président sortant, avec 43,3 % des suffrages contre 42,7 %, au premier tour, le 7 mars.

« Je me réjouis que la justice s’assure que la NEC mette au clair les décalages et irrégularités de l’élection du 7 mars avant le second tour », a affirmé à l’AFP Samura Kamara. Le SLPP, lui, voit dans l’arrêt des préparatifs « un stratagème délibéré du président Ernest Koroma pour prolonger illégalement son mandat ». « Tout indique que le président Koroma […] ne rendra pas le pouvoir sans implication de la communauté internationale », a-t-il estimé dans un communiqué.

« Les motifs de l’APC sont très clairs. Ils ne veulent pas de second tour car ils savent que le verdict d’une grande majorité du peuple de Sierra Leone ne sera pas en leur faveur », a déclaré Julius Maada Bio lors d’une conférence de presse dimanche. Si les élections ne se déroulent pas ce mardi, « j’appellerai notre nation à descendre dans la rue pour exprimer notre mécontentement de manière pacifique et légale », a-t-il ensuite précisé à l’AFP.

Plus de 84 % de participation au premier tour

Le bilan de l’administration Koroma est contrasté. Si elle a réussi à attirer les investisseurs pour reconstruire le pays, dévasté par la guerre civile (1991-2002) qui a fait quelque 120 000 morts, l’économie reste fragile après les chocs de l’épidémie d’Ebola en 2014-2016 et de la chute des cours mondiaux des matières premières. Et la corruption a continué de prospérer.

Les missions d’observateurs étrangers et de la société civile, notamment celle de l’Union européenne, ont salué le bon déroulement du scrutin, qui combine élections présidentielle, législatives et locales, marqué par une participation atteignant le niveau exceptionnel de plus de 84 %. La campagne pour le second tour, qui s’achevait dimanche, semblait repartie sur les bases de la fin de celle du premier, avec un recours de plus en plus manifeste à la carte régionale et ethnique, selon les analystes.

Une controverse a opposé la NEC à la police, la première reprochant à la seconde d’avoir pénétré à plusieurs reprises « sans justification » dans ses locaux et d’avoir ainsi « intimidé » des membres de son personnel. La police a répliqué qu’elle ne faisait qu’enquêter sur les quelque 200 incidents liés aux élections, dont certains impliquant des membres de la NEC, selon elle.

Mais le représentant pour l’Afrique de l’Ouest du secrétaire général de l’ONU, Mohamed Ibn Chambas, a souligné que la Commission électorale avait dû relever le « défi exceptionnel de remplir ses obligations constitutionnelles dans un délai très court ». Il a appelé « toutes les parties à la retenue et à ne pas s’ingérer dans les activités de la NEC ».

En l’absence de sondages crédibles, tout pronostic sur le vainqueur s’annonce hasardeux. L’issue est d’autant plus incertaine que si l’opposition a viré en tête à la présidentielle, l’APC frôle la majorité absolue à l’Assemblée nationale, selon les résultats des législatives, sept des 132 sièges restant encore à attribuer à l’issue de recomptes et d’une annulation.

En outre, les deux nouveaux partis arrivés respectivement deuxième et troisième, cumulant à eux deux près de 10 % des suffrages, soit une réserve de voix décisive pour les deux protagonistes, n’ont pas donné de consigne de vote.