Chronique. La signature de l’accord sur la Zone de libre-échange continentale (ZLEC) par 44 pays africains, mercredi 21 mars à Kigali, est un événement inédit. Certes, de nombreux commentateurs ont interprété l’absence du Nigeria parmi les signataires comme un demi-échec ; bien sûr, la présence sur la photo finale de la première puissance économique du continent eût été symboliquement forte. Mais à la vérité, tel n’était pas l’enjeu de ce sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA) dans la capitale rwandaise. La question qui se posait était plus grave : il s’agissait de savoir si ceux d’entre nous qui pensons qu’une autre Afrique est possible avons encore le droit d’espérer.

Le continent est dans une situation plus que préoccupante. En 2018, environ 420 millions de ses habitants vivent dans l’extrême pauvreté, soit le tiers de sa population. Pire, en raison notamment de l’augmentation démographique, non seulement la croissance économique enregistrée sur le continent depuis plus d’une décennie ne se traduit pas par une réduction de la pauvreté, mais le nombre de pauvres augmente : ils étaient 358 millions en 1996 et 415 millions en 2011.

Dans les zones rurales de nombreux pays, le changement climatique bouleverse les équilibres écologiques : les sécheresses se multiplient, l’accès à l’eau se raréfie, agriculteurs, éleveurs et bergers s’enfoncent dans la misère et ont de plus en plus recours à la violence comme moyen de survie. Entre 10 et 12 millions de jeunes Africains frappent chaque année à la porte d’un marché du travail incapable de les absorber. La pression va crescendo. Si le statu quo prévaut, l’afro-optimisme sera bien insuffisant pour empêcher l’effondrement du continent.

Réduction des tensions

C’est dans ce contexte qu’il faut évaluer l’importance de la ZLEC. Pour l’instant, seuls 16 % des échanges commerciaux africains ont lieu au sein du continent (contre 70 % pour l’Europe, 54 % pour l’Amérique du Nord et 51 % pour l’Asie du Sud-Est). Le continent échange (essentiellement des matières premières) deux fois plus avec l’Occident qu’avec lui-même. Le coût de renoncement est considérable.

Cependant, la bonne nouvelle est que 40 % des échanges commerciaux intra-africains sont des produits manufacturés – souvent fabriqués par les plus pauvres d’entre nous. Par conséquent, si le continent parvenait à hisser le volume de ses échanges au niveau des autres régions du monde, les gains en termes de croissance et de réduction de la pauvreté pourraient être substantiels.

Mais l’intérêt de la ZLEC n’est pas qu’économique. L’approfondissement de l’intégration du continent sera bénéfique au plan politique. Plus de liens commerciaux, c’est aussi la perspective d’une réduction des tensions entre pays, le recours à la diplomatie plutôt qu’à la force et une meilleure coopération sur des sujets d’intérêt continental.

Le changement est possible

Cependant, les sceptiques n’ont pas totalement tort : la ratification de l’accord par les Parlements nationaux pourrait s’avérer plus difficile que prévu ; et l’Afrique brille trop rarement par la mise en application des décisions prises. Surtout, sans l’amélioration notable du réseau d’infrastructures à l’échelle continentale et l’élimination des innombrables barrières non tarifaires, au fond sans une réelle volonté politique pour imposer un ordre propice au développement du commerce, la signature de l’accord pourrait rester dans l’histoire comme une remarquable opération de communication.

Les signataires savent que le plus difficile commence, que les attentes de la jeunesse africaine sont grandes et que c’est en réalité la survie du continent à long terme qui est en jeu. En signant cet accord sur la ZLEC, 44 pays africains ont en réalité affirmé leur détermination à se montrer à la hauteur de l’histoire. C’est une excellente nouvelle qui montre que le changement est possible et que l’espoir est donc permis.

Yann Gwet est un essayiste camerounais.