Tous leurs différends ne sont pas aplanis mais, c’est un premier pas, ils se parlent à nouveau. Dimanche 25 mars, le président rwandais, Paul Kagamé, s’est rendu à la State House d’Entebbe à l’invitation de son homologue ougandais, Yoweri Museveni. Raison officielle : la signature d’un accord de coopération économique et de développement. « Nous avons discuté de nombreux points parmi lesquels les infrastructures, les transports, l’économie et la sécurité, et nous sommes d’accord à 100 % », a précisé le président Museveni lors d’une conférence de presse où les deux hommes affichaient leur plus beau sourire.

Mais cette visite était surtout très politique. Il s’agissait avant tout d’officialiser le réchauffement des relations timidement engagées en marge du sommet de l’Union africaine (UA) de janvier, à Addis-Abeba, par une rencontre informelle. Depuis, les tensions ne s’étaient pas totalement apaisées. Museveni avait ainsi annulé à la dernière minute son déplacement à Kigali pour la signature du traité de libre-échange panafricain, le 21 mars, laissant le soin à son ministre des affaires étrangères, Sam Kutesa, d’apposer la signature de Kampala.

Une absence qu’il a tenté d’atténuer devant son invité, dimanche, le félicitant « d’assumer la présidence de l’Union africaine et d’avoir accueilli avec succès le récent sommet qui a vu les pays soutenir la Zone de libre-échange continentale ». Yoweri Museveni a précisé que des « questions relatives à la sécurité bilatérale et régionale » avaient été abordées, avant d’insister : « Il n’y a aucun conflit fondamental entre le Rwanda et l’Ouganda et nous n’avons pas de problème frontalier, comme cela peut être le cas avec le Kenya. »

Enlèvements de ressortissants rwandais

Cette mise au point s’imposait, tant le climat de « guerre froide » évoqué par la presse locale était devenu pesant. Les deux hommes, qui ont combattu ensemble au sein de la rébellion ougandaise ayant permis l’accession au pouvoir de M. Museveni en 1986, ont depuis longtemps pris leurs distances, et les relations diplomatiques entre les deux pays ont été émaillées de périodes de tension. Dernièrement, plusieurs affaires sont venues encore troubler l’axe Kampala-Kigali.

Des médias rwandais ont ainsi accusé à plusieurs reprises le président Museveni d’entretenir une rébellion destinée à renverser ancien protégé. Reprenant une information publiée par l’un de ces journaux, le quotidien ougandais à sensation Red Pepper a « révélé », en octobre 2017, les « plans » de M. Museveni pour renverser son homologue rwandais. Une accusation maladroite qui a valu à la direction de la rédaction un procès retentissant en Ouganda.

Autre point de friction : des enlèvements à Kampala de ressortissants rwandais par la suite remis à la police de leur pays ont été dénoncés ces derniers mois par des ONG, d’aucuns y voyant la main de Kigali. Nombre d’entre eux, comme le sergent à la retraite René Rutagungira, enlevé en août 2017, étaient réfugiés en Ouganda, parfois depuis des années, après avoir fui le régime de Kigali. Kampala a réagi en arrêtant, fin octobre, une dizaine de personnes accusées d’avoir participé à ces kidnappings, dont des officiers de police ougandais et un ancien général rwandais. Et beaucoup voient dans l’éviction, début mars, du chef de la police ougandaise, Kale Kayihura, l’une des conséquences directes de ce scandale.

« Nous devons parler davantage »

Dans de toutes autres affaires, des ressortissants rwandais ont par ailleurs été détenus par les autorités ougandaises. Ce dossier de « harcèlement de ressortissants rwandais » avait valu l’envoi d’une lettre de protestation de Kigali, en décembre, qui dénonçait notamment « des arrestations multiples injustifiées, une absence de notification à la représentation diplomatique du Rwanda en Ouganda et des mauvais traitements infligés aux citoyens rwandais en Ouganda au cours des derniers mois ».

Interrogés sur cette question, les deux chefs d’Etat sont restés très évasifs et ont plaidé pour un meilleur partage des informations. Pour M. Museveni, « une coopération plus étroite » entre les services de sécurité des deux pays est nécessaire. « Beaucoup de ces affaires commentées par les médias pourraient être traitées correctement s’il y avait une meilleure communication, a-t-il ajouté sur le mode de la plaisanterie. Nous avons des téléphones, nous devons parler davantage. » « Des choses sont dites, parfois hors contexte, a complété le président Kagamé. Nous sommes convenus que les institutions concernées des deux côtés doivent rapidement se réunir. »

Une commission permanente conjointe a déjà été mise en place pour discuter des sujets d’intérêt mutuel et renforcer la coopération entre les deux Etats. Une réunion de ce mécanisme chapeauté par les deux ministères des affaires étrangères doit être planifiée dans les trois prochains mois.