Estelle Sauvat a été nommée, en novembre, haut-commissaire à la transformation des compétences auprès de Muriel Pénicaud, la ministre du travail, afin de mieux répondre aux mutations du monde professionnel.

Certaines entreprises ont du mal à recruter alors que le taux de chômage frôle les 9 %. Cela tient-il à un déficit de compétences ou à la façon de rapprocher offre et demande ?

Nous sommes en effet face à un paradoxe. Avec la croissance qui repart, les employeurs expriment un besoin en recrutement immédiat, notamment dans des secteurs spécifiques. Entre 200 000 et 300 000 projets de recrutement ont été abandonnés faute de candidats avec les compétences adéquates.

Au-delà du manque de compétences, d’autres facteurs interviennent comme le « manque d’attractivité du poste proposé » (77 % des cas), mais aussi « le manque d’expérience, de compétences ou de motivation » des candidats (près de 70 %).

L’an dernier, la France a créé 268 000 emplois. Nous devons saisir cette opportunité pour doter chaque citoyen des compétences qui lui permettront de trouver un emploi et de rebondir. C’est tout l’enjeu du Plan d’investissement dans les compétences (PIC). Une action spécifique sera conduite pour apporter un ensemble de réponses coordonnées entre l’Etat, les régions et les secteurs concernés.

Que faut-il faire ?

Sans perdre de vue les compétences techniques dont la France a besoin à court et moyen terme, il faut sécuriser les compétences relationnelles – plus transversales et moins attachées aux métiers –, qui sont de plus en plus valorisées par les entreprises. Elles dénotent notamment votre capacité à comprendre les règles et la culture d’une entreprise, à vous adapter à son environnement ou à travailler avec d’autres, à l’ère du collaboratif. Et elles sont valables tout au long de la carrière : elles facilitent aussi la mobilité professionnelle.

Comment inclure les plus fragiles ?

Le PIC, dont j’ai la responsabilité auprès de Muriel Pénicaud, représente un effort inédit de 15 milliards d’euros pour former deux millions de jeunes et demandeurs d’emploi sans diplôme, à travers des parcours personnalisés, adaptés à chacun. Avec les régions, Pôle emploi et les Missions locales, l’enjeu sera d’identifier des personnes qui n’étaient pas repérées jusqu’ici et de les aider à maîtriser les codes de l’entreprise et du numérique. Pôle emploi proposera aussi des ateliers sur les compétences comportementales, ou soft skills (« compétences douces »), à partir de septembre prochain. Nous annoncerons les prochaines étapes du Plan d’investissement dans les compétences au mois d’avril.

Comment mesurer ces compétences transversales ?

Nous travaillons sur un référentiel commun de compétences transversales : quelles sont-elles, quand sont-elles acquises et validées ? Avec, à la clé, leur reconnaissance pour qu’elles puissent être valorisées et reconnues au même titre que les compétences génériques, c’est en cela qu’elles constitueront un levier de l’évolution professionnelle.

Tout l’enjeu est de mettre en place des blocs de compétences, intégrant également ces soft skills – encore insuffisamment reconnues en France, à la différence des pays anglo-saxons –, pour pouvoir les embarquer dans le compte personnel de formation. Avec l’application que nous préparons, chacun pourra choisir de façon simple et transparente ses formations.

Comment anticiper la transformation des emplois à l’heure du numérique ?

C’est un autre grand chantier du PIC. Il consiste à se doter d’une « longue-vue » pour identifier les compétences émergentes. Cela passe par la mise en place d’outils de collecte et d’analyse en temps réel qui utilisent les dernières technologies du big data et de l’intelligence artificielle. Ils scruteront les offres déposées par les entreprises mais aussi les nouvelles sémantiques de leurs pages carrières, riches en enseignements sur les nouvelles compétences qu’elles attendent.

L’idée est de décrypter les dynamiques et les tendances, par filières et secteurs, y compris les signaux faibles qui pourraient se transformer en signaux forts. A partir de ces prévisions, on doit définir les champs dans lesquels la France a besoin de former ou pas, ou de se reconvertir.

Avez-vous quelques exemples ?

Avec le passage du Wi-Fi au Li-Fi, l’Internet par la lumière, la profession d’éclairagiste doit se préparer à renforcer ses compétences sur le terrain du numérique. En outre, au rythme du développement des « villes intelligentes » et de l’émergence des objets connectés, qui pénètrent de plus en plus de foyers, on peut estimer à plusieurs milliers le nombre de spécialistes qu’il faudra former d’ici à deux à quatre ans sur tout le territoire pour accompagner cette transformation inédite.

Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec Pôle emploi.