Mètre après mètre, le gouvernement tente de déminer le chemin qui mène jusqu’au référendum d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie. Le 20 mars, le Parlement a adopté, par un vote quasi unanime, une loi organique sur la très sensible composition de la liste électorale référendaire. La veille, à Nouméa, répondant à la demande formulée devant eux, le 5 décembre 2017, par Edouard Philippe, les élus du Congrès de Nouvelle-Calédonie ont fixé la date du référendum. Il aura lieu le dimanche 4 novembre.

Le propos liminaire des articles de la délibération a toutefois suscité un énième épisode de la guerre de tranchées à laquelle se livre la droite depuis des années. Jugeant le texte « trop repentant » sur les méfaits de la colonisation, les deux formations rivales proches de LR (Les Républicains calédoniens et Le Rassemblement-LR) ont voté contre le texte et en ont profité pour claquer la porte du groupe de travail baptisé « Sur le chemin de l’avenir », dont la mise en place avait été souhaitée par le premier ministre afin de préparer l’après-référendum.

La principale formation non-indépendantiste, Calédonie ensemble (droite modérée), a en revanche voté à l’unisson avec les indépendantistes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). Les mêmes se sont entendus sur une charte des valeurs communes (républicaines, océaniennes et chrétiennes) qu’ils devaient proposer, mardi 27 mars, au premier ministre, lors de la réunion à Matignon du comité des signataires de l’accord de Nouméa.

Clivages

Nouvelle étape de la préparation du référendum, son ordre du jour est dominé par la question qui sera posée aux électeurs calédoniens. « Elle implique (…) une formulation binaire. Le champ des possibles est très limité », avait déclaré le chef du gouvernement à Nouméa. Dans son titre IX, l’accord de Nouméa du 5 mai 1998 stipule que « la consultation [portera] sur l’accession à la pleine souveraineté ».

Le gouvernement a souhaité que les élus calédoniens travaillent ensemble à la formulation de la question. Une mission qui s’est révélée impossible au vu des clivages.

« Le libellé est simple pour nous. Les mots “pleine souveraineté” figurent bien dans l’accord. Je défie quiconque de me dire où se trouve le mot “indépendance”, tonne Louis Mapou, chef du groupe UNI-FLNKS (indépendantiste) au Congrès. J’entends dire qu’il faut une certaine clarté. On finirait par laisser croire que les Kanak ne seraient pas capables de comprendre le terme “pleine souveraineté”. »

En aparté, des membres du FLNKS confient cependant craindre que l’« indépendance » effraie une frange de leur électorat.

« Course à l’échalote »

A la tête du Rassemblement-LR, le sénateur Pierre Frogier refuse « que l’on demande aux Calédoniens s’ils veulent que la Nouvelle-Calédonie accède ou non à la pleine souveraineté ». « Maintenant, c’est projet contre projet, conviction contre conviction. C’est la France ou l’indépendance ! », assène ce signataire de l’accord de Nouméa. Sur le même registre, Sonia Backès, chef de file des Républicains calédoniens, réclame une question sans fioritures avec des bulletins de vote comportant en toutes lettres le mot « France ». « L’expression “pleine souveraineté” est ambiguë », affirme celle dont les militants veulent « mettre une rouste aux indépendantistes ».

En revanche, le député Philippe Gomès (UDI, Agir et Indépendants), patron de Calédonie ensemble, estime que « les deux termes, “pleine souveraineté” ou “indépendance”, sont possibles ». « La Constitution et l’accord de Nouméa utilisent uniquement les mots de “pleine souveraineté”. Mais les précédentes consultations du même type, aux Comores et à Djibouti, utilisaient le mot “indépendance” », rappelle-t-il. Le parlementaire accuse ses concurrents loyalistes de se livrer à « une course à l’échalote dans la perspective des élections provinciales de 2019, en misant sur des désordres qui feront prospérer leur radicalité ».

Dans ce contexte, tout porte à croire que les acteurs calédoniens s’en remettront à l’autorité de l’Etat pour trancher leurs chicanes et fixer la question du référendum. Mais ce défaut de consensus témoigne que, malgré vingt années de décolonisation pacifique, dont l’ultime ambition était l’émergence d’une communauté de destin, la société calédonienne demeure fracturée par un conflit aux allures indépassables : pour ou contre l’indépendance.