Documentaire sur Arte à 21 h 45

Très peu de journalistes ­connaissent aussi bien le Yémen que François-Xavier Trégan. Il y a vécu et travaillé, notamment pour Le Monde. On imagine – et on sent parfois à travers les images et le commentaire de son documentaire – combien il a été bouleversé de retrouver le pays tant aimé qu’il a quitté pour la dernière fois au tout début de la guerre – fin 2014-début 2015 – qui le déchire actuellement. Une guerre qui, faute de témoins extérieurs et d’intérêt international, « se réduit à un huis clos misérable ».

Afin de pouvoir traverser le Yémen du sud au nord, ce qui est aujourd’hui impossible pour un journaliste étranger, Trégan et son équipe se sont mis dans les pas du président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Peter Maurer, pour un périple de six jours au pas de charge mais éclairant. L’organisation internationale est aujourd’hui la seule à être en contact avec toutes les parties du conflit, en dehors de l’ONU. Le professionnalisme du CICR et son aide précieuse ouvrent toutes les portes ou presque à Maurer, venu « pour rééquilibrer ce ­décalage entre [manque d’] attention internationale et besoins humanitaires [immenses] ».

Le film nous conduit d’Aden, « capitale qui ne l’est pas tout à fait », à Sanaa, « capitale qui ne l’est plus vraiment », en passant par Taëz, l’ancienne « capitale culturelle » du pays, réduite à un tas de ruines et d’ordures. Taëz marque la ligne de front et la frontière symbolique entre Sud et Nord, essentielle à la compréhension du pays. Le Yémen défile à travers le pare-brise sale d’un 4 × 4, les interlocuteurs se succèdent.

« Yémen, le chaos et le silence », de François-Xavier Trégan. / © MEMENTO/ARTE/STÉPHANE ROSSI

La guerre, elle, est aussi omniprésente qu’invisible. On saisit des bribes de réel au vol : comment le pays houthiste est mieux tenu, d’une main de fer, que le Sud gouvernemental ; ­combien la psychose des bombardements aériens, qui tuent pour moitié des civils, est forte, au point que les habitants pensent que ce sont les bombes saoudiennes qui diffusent le choléra, le mal silencieux de cette guerre. Le conflit a pris un tour confessionnel, inédit dans ce pays entièrement musulman, entre chiites – auxquels sont assimilés les houthistes, d’obédience zaïdite, une branche du chiisme – et sunnites. « Ils sont ­sortis de leurs grottes et on les y remettra », promet un milicien anti-houthiste. Une guerre « sans issue et sans merci », comme la qualifie François-Xavier Trégan.

A Aden, la guerre est en sommeil, mais ses stigmates sont partout. D’autres conflits pointent déjà. Depuis le passage de Peter Maurer, à l’été 2017, le conflit entre les sécessionnistes sudistes et le gouvernement a éclaté au grand jour. C’est aussi le cas à Sanaa, où l’alliance entre les rebelles houthistes et l’ancien président Ali Abdallah Saleh s’est achevée par l’assassinat de ce dernier. A Taëz, la présence de djihadistes d’Al-Qaida et de l’Etat islamique aux côtés des soldats gouvernementaux et des milices tribales unies contre les houthistes ne présage rien de bon.

« La communauté internationale sous-estime largement le potentiel de déstabilisation de la guerre au Yémen », prédit M. Maurer. Nabil Subay, journaliste yéménite en exil, le dit avec ses mots : « Une guerre, c’est un pays qu’on n’entend pas. Il n’est pas silencieux, c’est juste qu’on ne l’entend pas. »

Yémen, le chaos et le silence, de François-Xavier Trégan (Fr., 2018, 52 min).