Une pétition a été lancée en France contre les « prédateurs sexuels en blouse blanche ». / Alessandra Tarantino / AP

Le code de déontologie médicale doit-il explicitement interdire aux médecins d’avoir des relations sexuelles avec les patients dont ils assurent le suivi ? C’est la demande adressée mardi 27 mars à la ministre de la santé Agnès Buzyn par plusieurs femmes victimes de « prédateurs sexuels » en « blouse blanche » ou « sur divan ». Une pétition déjà signée par plusieurs personnalités, comme la pneumologue Irène Frachon ou le docteur Jean-Paul Hamon, le président de la Fédération des médecins de France, un syndicat de médecins libéraux.

Dans leurs témoignages, déposés initialement sur le forum de Dominique Dupagne, médecin généraliste et chroniqueur radio, aujourd’hui coordonnateur de l’opération, ces femmes racontent comment leur thérapeute a profité et abusé de leur état de vulnérabilité et de leur faiblesse pour les manipuler et mettre en place avec elles des relations de nature sexuelle. Un mécanisme de transfert et de contre-transfert amoureux bien identifié, et contre lequel Sigmund Freud, le père de la psychanalyse, mettait déjà formellement en garde. L’interdit des relations sexuelles avec le patient suivi figure d’ailleurs dans le code d’éthique des psychanalystes.

Plaintes irrecevables

Or la loi serait bien souvent impuissante à sanctionner les transgressions à cette règle. « Les plaintes pénales des patients séduits et manipulés par leur médecin sont le plus souvent déclarées irrecevables », font valoir les auteurs de la pétition, dans la mesure où la relation, sans violence, peut être perçue comme une relation entre adultes consentants. Et « comme pour le viol, très peu de victimes portent plainte », relèvent les pétitionnaires. « Le nombre de plaintes est infime par rapport à la réalité, les victimes se sentent salies, elles ont le sentiment d’avoir été naïves », estime le dr Dupagne.

Reste les chambres disciplinaires départementales de l’Ordre des médecins, dont la mission est de juger – et le cas échéant de sanctionner – les praticiens qui ne respectent pas le Code de déontologie médicale, un texte doté d’une valeur réglementaire car intégré au Code de la santé publique. En 2016, 35 sanctions ont été prononcées par les chambres disciplinaires de première instance pour des manquements déontologiques liés à des actes à connotation sexuelle, dont 6 radiations. Au niveau de la chambre disciplinaire nationale, qui traite les appels, 15 sanctions ont été prononcées en 2016 pour ce motif, dont 4 radiations.

Les confrères avantagés

Avant d’être jugés, ces cas ont tous été précédés d’une première réunion de conciliation, entre le médecin et le plaignant. Or certaines victimes dénoncent le mauvais accueil reçu lors de cette première étape, le conseiller ordinal tendant souvent à donner plus de poids à la parole de l’un de ses confrères. « Il y a un corporatisme très fort chez les médecins, nous avons plein d’exemples où les conseils départementaux de l’Ordre protègent des notables », souligne le docteur Dupagne, qui regrette la « frilosité » de l’Ordre sur ce sujet. « On n’est pas sûr qu’ajouter un interdit explicite dans le code de déontologie diminue le nombre de comportements déviants mais il permettrait au moins de renverser la charge de la preuve, dit-il. Ce serait alors au médecin de se justifier, pas à la plaignante. »

Au Conseil national de l’Ordre des médecins, on assure mener une « lutte déterminée contre toutes sortes d’abus à caractère sexuel que des médecins commettraient », mais on se dit défavorable à l’ajout d’un nouvel article, qui constituerait une « intrusion dans la vie privée de personnes libres et consentantes ». Un tel article est également jugé « inutile » dans la mesure où la loi permet par ailleurs déjà de réprimer « tous les abus de faiblesse sur personne en situation de vulnérabilité, y compris en matière sexuelle ».

Interrogé sur la façon dont sont reçues les plaignantes lorsqu’elles souhaitent déposer plainte, le dr Gilles Munier, vice-président de l’Ordre, reconnaît qu’il est encore possible d’améliorer leur « accueil » au niveau du Conseil départemental, afin qu’elles puissent « bénéficier d’une écoute et d’une neutralité bienveillante avec l’obligation, dès réception de signalements d’inconduites à caractère sexuel, d’en prendre acte et d’entamer systématiquement la procédure habituelle ».