L’intrigue de « Ready Player One » se déroule en 2045, dans des univers virtuels accessibles par des casques de VR. / AP

Retour vers le futur, Akira, Stephen King... La bande-annonce de Ready Player One, le nouveau film de Steven Spielberg sorti mercredi 28 mars, est truffée de références à la culture pop des années 1980. Si le film se veut futuriste – il se passe en 2045, dans un univers de réalité virtuelle –, il est empreint de nostalgie. Et s’inscrit dans une tendance rétro plus vaste, nourrie de néons, de jeux d’arcades et de clins d’œil à répétition. Explications avec David Peyron, maître de conférences en communication à l’université Aix-Marseille, youtubeur et auteur de Culture geek (FYP éditions, 2013).

« Ready Player One », « Stranger Things »… On a l’impression d’un retour aux années 1980 dans la culture pop. Pourquoi ce regain d’intérêt ?

David Peyron : C’est un effet cyclique : diverses décennies reviennent régulièrement à la mode. Les années 1980 étaient déjà revenues au milieu des années 1990. Mais il y a quand même des choses spécifiques aux années 1980 : c’est notamment une période fondatrice pour la pop culture, dans la continuité de la fin des années 1970 avec Star Wars.

Les années 1980, c’est la massification de tout ça : le jeu vidéo devient une vraie industrie, la grande époque Steven Spielberg/George Lucas définit le Hollywood moderne, avec la mise en scène des enfants, les effets spéciaux numériques... Les ados deviennent aussi la cible de l’industrie culturelle, ce qui n’était pas le cas avant. Aujourd’hui, on vit toujours dans cette époque, il n’y a pas eu de rupture depuis... c’est donc normal que ça revienne beaucoup.

Ce retour des années 1980 passe notamment par des rééditions de consoles cultes, la mode du rétrogaming, des références à « Donjons et Dragons »… La nostalgie des années 1980 est-elle une nostalgie geek ?

Oui, en grande partie. La première grande génération geek, celle des fondateurs, émerge dans les années 1980 : ils avaient entre 12 et 17 ans au début de cette décennie, ils ont grandi avec ces jeux vidéo, ces films.

Les années 1980, c’est aussi la naissance d’une culture ludique, faite pour être divertissante, amusante. C’est partout aujourd’hui, avec les jeux vidéo, les « escape games »... Les jeux sont même présents dans les films, dans leurs thématiques [comme Hunger Games], mais aussi dans la communication, avec des énigmes à résoudre. C’est au cœur de la culture geek : l’idée qu’on est récompensé pour l’effort de plus ; on aborde le monde comme un jeu vidéo. C’est issu de cette époque.

L’emblématique DeLorean de « Retour vers le futur » apparaît dans « Ready Player One ». / Warner Bros.

La technologie et la mondialisation de la culture sont-elles des particularités de cette vague nostalgique ? Une bonne bonne partie des jeunes occidentaux de l’époque ont connu les mêmes sensations en jouant avec les mêmes consoles, en regardant les mêmes films...

On est dans une culture mondialisée : même dans des manifestations dans des pays en voie de développement, on voit des références à Iron Man, à la culture pop, car on est sûr que ce sera compris dans le monde entier. Chacun s’approprie ces références. La technologie est au cœur de tout ça : Internet a mutualisé la connaissance. On revoit Star Wars pour la dixième fois, on découvre un détail, on le partage sur les forums, les réseaux sociaux... Chacun peut apporter sa pierre à cet univers.

La participation et la modification des univers sont d’ailleurs au cœur de la culture geek des années 1980, où on fabriquait son ordi, on codait son jeu vidéo... L’esprit des hackeurs des débuts, c’était ça : on ne veut pas être dépendant d’autorités, on veut que tout le monde puisse participer. Même chose avec la culture pop, avec la naissance du jeu de rôle dans les années 1970 et l’idée qu’on peut créer des mondes ensemble. C’est devenu une banalité aujourd’hui. George Lucas était issu de cette culture, et avec la démocratisation de l’informatique, elle a explosé auprès du grand public – alors qu’elle était réservée à un petit cercle de geeks.

Le fait que ça concerne désormais le grand public expliquerait donc cette actuelle vague de nostalgie ? C’est vendeur ?

C’est devenu un marché. Quelque part, c’est un échec de l’utopie. Mais au début, c’était aussi un entre-soi très limité : que des hommes, avec une hiérarchie sociale malgré tout. L’enjeu de cette nostalgie, c’est de recréer ce sentiment de communauté en permanence. La culture pop essaie ainsi de recréer de l’entre-soi dans des œuvres très grand public

Le personnage de « Freddy, les Griffes de la nuit », apparaît dans la bande-annonce de « Ready Player One ». / Warner Bros.

Et cela passe notamment par les nombreux clins d’œil présents dans ces œuvres récentes... C’est un élément important ?

Hyper important ! La culture geek est une culture d’accumulation de la connaissance, pour maîtriser un univers et mieux y participer. Ces « easter eggs » [« œufs de Pâques », expression qui désigne des fonctions cachées au sein d’un programme] créent un lien entre l’auteur et le public, qui va relayer ses trouvailles sur les réseaux sociaux.

Des réalisateurs comme George Lucas, Sam Raimi ou encore Peter Jackson se présentent souvent comme des fans avant tout, ce qui crée une proximité. Joss Whedon aussi, qui se présente comme un petit nerd qui a réussi – en fait il vient d’une famille de scénaristes. Il y a une volonté d’être adoubé par cette communauté-là. C’est une première étape de communication avant de toucher le grand public.

Et « Ready Player One » dans tout ça ?

Quand j’ai lu le livre à l’origine du film, je ne m’attendais pas à ce que Steven Spielberg le fasse, c’est tellement centré sur lui ! Il dit qu’il a limité les références à lui-même, mais bon... Toutes les références geek sont dedans, des plus évidentes aux plus pointues. L’intrigue est même basée là-dessus : les héros doivent trouver des « easter eggs », et vont l’incarner physiquement ! C’est la nostalgie réinventée en permanence et mélangée à la réalité virtuelle, une technologie beaucoup plus récente. Ça permet de moderniser.

Arrive-t-on, avec « Ready Player One », à l’apogée de ce cycle, ou à son trop-plein ? Ne risque-t-on pas de se lasser ?

Ce qui va être intéressant, c’est de voir le succès ou non du film. Quand le créateur de cette mode s’en empare, est-ce qu’on n’en a pas fait le tour ? A voir...