L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

Puisque la réalisatrice, Chloé Zhao, malade, n’a pu venir à Paris, on ne saura pas le détail de l’étonnant voyage qui a amené une cinéaste née à Pékin à se faire la chroniqueuse de la vie quotidienne du Far West, le vrai, celui du XXIe siècle. Comme son premier long-métrage, Les Chansons que mes frères m’ont apprises (2015), The Rider a été tourné sur une réserve sioux du Dakota du Sud. On y retrouve les mêmes espaces sublimes et désolés des Badlands, le même tissu social fragile qui entrecroise la mémoire du destin des premières nations et la précarité, économique et sanitaire.

Cette fois, le traitement impressionniste d’une société enfermée dans un cul-de-sac de l’histoire fait place à l’épopée intime, qui suit les traces d’un héros comme on n’en avait pas vu depuis longtemps, cavalier émérite coiffé d’un Stetson, un jeune ambitieux qui veut être respecté et adulé dans tout l’Ouest, à qui le destin joue de sales tours. On y retrouvera une bonne part de ce qui a fait, depuis un siècle, la grandeur du western – l’ampleur des chevauchées, la lutte pour l’espace, l’affrontement entre les cultures et les modes de vie –, modelé par un souci constant de faire sa place au réel. La tentative n’est pas inédite, mais Chloé Zhao la mène à bien comme peu de cinéastes ont su le faire, vigoureusement, délicatement

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Quand on découvre Brady Blackburn (Brady Jandreau), face à un miroir, sa chevelure à moitié rasée lui donne l’air d’un Iroquois asymétrique, sa mine angoissée et butée en fait un lointain cousin du Travis Bickle de Taxi Driver. Précautionneusement, le jeune homme se défait du pansement qui recouvre une terrible plaie. Grand espoir du circuit des rodéos, le jeune homme a été jeté à bas par sa monture qui lui a fracassé le crâne. Cet accident, dont les circonstances ont été empruntées à la biographie de Brady Jandreau mais dont les séquelles ont été, dans la réalité, moins lourdes, interdit en théorie à Blackburn de remonter à cheval, de vivre des deux métiers qui sont les siens, cavalier de rodéo et dresseur de chevaux.

En une succession de séquences qui semblent toutes arrachées à la vie quotidienne sur une réserve, Chloé Zhao construit le récit de la tempête qui fait rage sous le crâne fracturé de Brady. Le jeune homme vit dans un mobile-home avec son père, Wayne, et sa sœur, Lilly, handicapée (les deux rôles sont tenus par le père et la sœur de l’acteur). La mère et épouse gît tout près, dans un petit cimetière battu par le vent.

Révolte face à la fatalité

Comme son fils, Wayne vit – ou plutôt vivote – de sa science équestre. Lorsqu’il comprend que Brady est résolu à ne pas tenir compte de l’avis des médecins et à remonter en selle, ce père peu fiable (il oublie de payer le loyer, passe beaucoup de temps dans les casinos de la réserve) tente de l’en dissuader. Brady rend aussi visite à Lane, son ami et modèle, un type qui « a gagné 15 000 dollars en un été », en montant des taureaux. Victime d’un accident de voiture, Lane est resté tétraplégique, communique difficilement. Comme Brady qui regarde sur son téléphone la vidéo de son accident, le chevaucheur de taureaux contemple ses exploits passés sur un petit écran.

D’un côté, il y a la révolte face à la fatalité, le rappel incessant de la vocation par les voisins, par les clients qui voudraient que Brady débourre un cheval, en corrige un autre, de l’autre il y a les avertissements des médecins, les tentatives maladroites du père, les appels plus directs de la sœur, atteinte d’une forme d’autisme, pour ramener le jeune homme à la prudence, à la survie.

Chloé Zhao joue avec beaucoup de finesse de la contraction et de l’expansion de l’espace

Chloé Zhao joue avec beaucoup de finesse de la contraction et de l’expansion de l’espace. L’espace intérieur de Brady, tiraillé entre son rêve de grandeur et le lien très fort qui l’unit aux siens. L’espace de la réserve, fait d’intérieurs médiocres (le mobile-home, le supermarché dans lequel le jeune homme tient un emploi qu’il voudrait croire provisoire, le salon de tatouage improvisé de l’un de ses amis) et d’extérieurs dont les horizons semblent aussi lointains que ceux de l’océan.

L’image de Joshua James Richards passe au même rythme d’un réalisme documentaire au lyrisme. Dans ces moments, lorsque le film traverse un instant l’iconographie du western classique – un homme coiffé d’un grand chapeau qui traverse une plaine à cheval –, le genre prend alors une vigueur nouvelle, faite du deuil de ce que la conquête de l’Ouest a détruit et de la vitalité de ceux qui y ont survécu.

THE RIDER bande annonce officielle
Durée : 01:41

Film américain de Chloé Zhao. Avec Brady Jandreau, Tim Jandreau, Lilly Jandreau, Lane Scott (1 h 44). Sur le Web : www.filmsdulosange.fr/fr/film/243/the-rider