Guillaume Simoneau n’est pas photojournaliste, et il y tient. Le style National Geographic, les « qui, quoi, où, quand, comment » enseignés dans les écoles de presse, non merci. « Ce travail ne consiste pas à présenter la région des lacs expérimentaux ou l’activité des scientifiques », raconte le photographe, passé par les bancs de la fac de sciences avant de « mal tourner ». « Il s’agit d’images subjectives, personnelles, inspirées par le lieu. »

C’est par hasard que le photographe a découvert ce centre de recherche en pleine nature, situé dans le nord de la province de l’Ontario, au Canada. « C’était à la radio. Karen Kidd, professeur de biologie à l’université du ­Nouveau-Brunswick, racontait les conséquences de la fermeture de ce site exceptionnel. Le gouvernement conservateur avait décidé de couper toute subvention. On allait perdre quarante années de recherche sur les enjeux d’environnement pour des raisons budgétaires infimes, autrement dit pour des motifs purement idéologiques… Moi qui, une heure auparavant, ignorais l’existence même de ce lieu, j’ai décidé d’y aller. »

Des lacs à perte de vue

Mais d’abord, n’en déplaise à Guillaume ­Simoneau, une petite présentation factuelle. La région des lacs expérimentaux (RLE) est un immense site de recherche qui rassemble 58 lacs d’eau douce. « Pas des petits plans d’eau, précise le photographe. Chaque lac s’étend à perte de vue. »

Depuis 1968, des générations de scientifiques y testent les effets de la pollution sur la vie aquatique. Des recherches menées à grande échelle. Là où les laboratoires suivent des effets locaux et de courte durée, la RLE fait l’inverse. Les lacs sont étudiés dans la globalité de leur écosystème et sur plusieurs années, voire sur des dizaines d’années. Avec des résultats souvent incontestables.

La première victoire des scientifiques locaux intervient en 1973. Ils mettent en évidence les effets des engrais phosphorés sur la prolifération d’algues vertes. Après ces révélations, plusieurs pays modifient leur réglementation. À partir de 1976, le cap est mis sur les pluies acides. Huit ans d’études parviennent à convaincre le président américain Ronald Reagan. Un traité conjoint réduisant drastiquement les émissions de dioxyde de soufre et d’oxydes d’azote est finalement signé par les États-Unis et le Canada en 1991.

En 1998, c’est au tour du mercure d’être dans le viseur des chercheurs. Ils découvrent que les faibles quantités de produits versées dans le lac 658 se retrouvent dans toute la chaîne alimentaire. En 2011, les États-Unis amendent leur législation, suivis par 140 pays qui signent en 2013 un traité mondial de réduction des niveaux de mercure.

Un environnement « exceptionnel »

C’est cet héritage et des dizaines d’autres projets de recherche qui menaçaient de disparaître en 2012. Pendant un an, les scientifiques ont continué de faire tourner les installations avec les moyens du bord. Puis un institut international, soutenu par les Nations unies ainsi que par les provinces de l’Ontario et du Manitoba, a pris le relais. Aujourd’hui, le centre de recherche n’est donc plus menacé de mort.

« Les industriels utilisent des produits sans en connaître les effets. Des scientifiques vouent leur vie à pallier ces négligences. » Guillaume ­Simoneau, photographe

Au contraire, une « vie intense » souffle sur la région. Et pas seulement celle des mouches qui ont continuellement empoisonné la vie du photographe, lors de ses deux séjours dans la région, en 2015 et 2016. Flore, faune et même environnement humain, « tout est exceptionnel ici ». « Les industriels utilisent souvent des produits sans en connaître les effets exacts, explique le photographe. Des scientifiques vouent leur vie à pallier ces négligences. Actuellement, ils testent par exemple les nanoparticules d’argent que l’on trouve dans nos vêtements antitranspirants. Et pour cela, ils sont obligés de malmener un lac. Pour moi, il y a quelque chose de bouleversant à cela. »

Le photographe court désormais après un autre mystère. Il a planté ses appareils dans la mine de Sudbury, à deux kilomètres sous la roche, toujours dans l’Ontario, où les scientifiques traquent les neutrinos, ces particules qui, par milliards, nous traversent à chaque seconde, sans interagir. Qui, quoi, quand, où ? Concernant les neutrinos, les scientifiques eux-mêmes manquent souvent de réponses. Guillaume ­Simoneau aura donc le champ libre.

Experimental Lake, de Guillaume Simoneau, éd. MACK, 80 p., 35 €.