Le tribunal correctionnel de Paris doit rendre son verdict, vendredi 30 mars, dans l’affaire opposant l’avocat Eric Dupond-Moretti à un homme l’ayant menacé de mort. Ce dernier reprochait au célèbre pénaliste d’avoir défendu Abdelkader Merah, le frère de Mohamed Merah, coupable de sept meurtres en 2012 à Toulouse.

Ces menaces sont une nouvelle illustration du fossé qui peut exister entre le monde de la justice et l’opinion publique, souvent prompte à juger immoraux les avocats. Directrice de recherche au CNRS, Edwige Rude-Antoine a publié, après quatre années d’entretiens avec des professionnels, l’ouvrage L’Ethique de l’avocat pénaliste (L’Harmattan, 2014). Pour la juriste et sociologue, « l’avocat sans foi ni loi, c’est un mythe ».

Procès Salah Abdeslam, Jawad Bendaoud, affaire Daval ou Maëlys…, plusieurs avocats pénalistes, particulièrement médiatisés, ont pris la parole au cours des derniers mois pour évoquer leur rôle et leur métier. Est-ce nouveau de devoir justifier l’existence même d’un avocat de la défense ?

Edwige Rude-Antoine : Dans notre démocratie, il semble que l’on n’ait pas encore intégré que la défense est un droit essentiel. Il est souvent remis en question, même s’il est inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ou dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950.

Aujourd’hui, la défense pénale intervient de façon multiple, depuis la garde à vue jusqu’à l’application de la peine. Elle reste le témoin privilégié de la condition judiciaire, de la solitude du mis en cause, démuni devant les juges. Cela peut expliquer que des avocats pénalistes prennent la parole pour évoquer leur rôle et leur métier, qui s’est complexifié.

L’opinion publique reproche souvent aux pénalistes un sens de la morale restreint, voire inexistant. Comment cette accusation est-elle vécue par la profession ?

Les avocats pénalistes ont conscience qu’ils sont souvent associés à leur « client ». Si celui-ci est reconnu coupable d’un acte criminel, ils subissent un excès d’opprobre ; si celui-ci est reconnu innocent, ils subissent un excès d’honneur.

Mais tous considèrent qu’ils sont là pour défendre, comme un médecin est là pour soigner. Si un médecin refuse de soigner un homme, c’est un manquement au serment d’Hippocrate. Il en va de même pour un avocat : plus l’accusation est grave, plus l’avocat a le devoir de défendre. Défendre ne se résume pas à une application du droit, c’est aussi être partie prenante à la mise en œuvre des droits de l’homme, des libertés fondamentales, et du droit à la dignité. Au-delà de l’acte commis, l’avocat défend aussi l’humanité.

Toutefois, l’avocat a sa propre vie et ses propres convictions, et la défense qu’il propose doit en tenir compte. L’avocat accepte de défendre les pires criminels à une seule mais importante condition : qu’il trouve avec son client un accord sur la stratégie de défense.

Comment l’avocat établit-il sa relation avec son client ?

Au début d’une affaire, l’avocat de la défense rencontre la personne mise en cause. L’avocat va la confronter à la version judiciaire du dossier en construction ou achevé : il met en tension les éléments du dossier et la version du client. C’est ainsi qu’une relation de confiance peut se construire et permettre à l’avocat de s’approcher au plus près de son client, de son histoire sociale, de sa scène psychique et d’obtenir des éléments pour préparer sa défense. L’avocat est à la recherche du vraisemblable. A aucun moment il n’impose sa vision des événements.

Parfois, le client est dans le déni de son acte, dans l’impossibilité d’avouer, pour plein de raisons. L’avocat ne cautionne pas les actes commis mais va au-delà des faits en demandant à son client des arguments face aux charges qui pèsent contre lui. Il soumet ainsi à un examen critique la culpabilité de son client. On pose ici le problème d’une proximité contrôlée qui ne tombe ni dans la candeur ni dans le cynisme.

Il ne faut pas oublier par ailleurs qu’un avocat peut toujours se démettre d’un dossier s’il n’est pas d’accord avec la stratégie de défense souhaitée par son client.

Au quotidien, l’avocat s’interroge-t-il sur son rapport à la morale ?

L’avocat pénaliste est tenu, dans son travail quotidien, de respecter des règles déontologiques. Seize principes guident ainsi sa pratique : dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ; il doit respecter les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie ; il doit faire preuve à l’égard de ses « clients » de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence. La méconnaissance d’un seul de ces principes constitue une faute pouvant entraîner une sanction disciplinaire.

Ces obligations, qui s’apparentent à une morale professionnelle, ne règlent pas toute la conduite éthique de l’avocat pénaliste. Celui-ci doit évidemment être stratège, il construit sa défense en faisant des choix. C’est une question morale, puisque l’avocat devra garder à l’esprit que le dévoilement de certains faits, de certaines photographies par exemple, pourra avoir des conséquences pour les proches du client, sur les suites de son existence, sur le procès lui-même, mais aussi pour la victime et ses proches.

Etre avocat de la défense, ce n’est pas nier la souffrance de la victime. L’avocat participe à la bonne mesure de la justice, en faisant tout ce qui convient pour éviter toute altération du sens de l’acte qui doit être jugé. L’avocat sans foi ni loi, prêt à mentir comme un arracheur de dents pour obtenir la victoire finale, c’est un mythe.

L’hypermédiatisation des procès ainsi que la montée en puissance des réseaux sociaux changent-elles le métier d’avocat pénaliste ?

La vérité des médias n’est pas la vérité de la justice. Citant des affaires sensibles, des avocats pénalistes évoquent les communiqués de presse plus rapides que la justice, les multiplications des déclarations sur les écrans, les images spectaculaires des faits reprochés à leur client, les réactions dans l’opinion publique.

Ces récits médiatiques qui donnent d’horribles détails parlent le langage des affects, et mettent en péril la présomption d’innocence. Ils ont des conséquences sur la sanction prononcée.

Le « tribunal médiatique » prend de l’ampleur. Les avocats peuvent, eux aussi, utiliser ce temps médiatique, en faire un outil. Mais ils doivent le faire avec prudence. Dans ce contexte, l’avocat va souvent devoir rappeler que le « procès par les médias » n’a rien du procès équitable. L’avocat joue un rôle de rempart contre le retour à une justice hors démocratie ou contre des décisions arbitraires.