Le Musée du Louvre présente jusqu’au 25 juin 2018 une soixantaine d’œuvres dessinées d’Israël Silvestre (1621-1691). Peu montrés, voire exposés pour la première fois, ces rares dessins, au regard des centaines d’estampes qu’il a gravées, illustrent tout autant sa technique, parfaitement maîtrisée, que son exceptionnel talent. Les sujets qu’il a représentés, au hasard de ses voyages de formation ou dus aux commandes du souverain ou des grands serviteurs de l’Etat, vont des églises romaines aux fêtes royales, en passant par les jardins du Grand Siècle. Un témoignage irremplaçable, d’autant que nombre de ces jardins, avec les châteaux dont ils étaient l’écrin, ont disparu.

« Château de Vaux. Vue du parterre de fleurs », par Israël Silvestre (vers 1659-1661), Musée du Louvre, département des arts graphiques. / RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE)/MICHEL URTADO

Israël Silvestre n’est pas né sujet du roi dont il allait devenir le dessinateur attitré. En 1621, sa ville de naissance, Nancy, était la capitale du duché de Lorraine, qui ne sera rattaché à la France qu’en 1766. Ayant perdu ses parents à l’âge de 10 ans, le jeune Lorrain recevra une formation artistique à Paris, auprès de son oncle, Israël Henriet. Celui-ci, excellent dessinateur, avait été formé aux côtés d’un autre maître de la gravure nancéien, Jacques Callot, à qui l’on doit la série dénonciatrice Les Grandes Misères de la guerre (1633).

Israël, non dénué de dons, apprit son métier en recopiant les œuvres de ce fameux prédécesseur, dont son oncle commercialisait les estampes. L’apprentissage de l’art de l’estampe et le succès commercial rencontré lui permirent assez rapidement de se mettre à son compte. Il entreprit entre-temps trois voyages en Italie, de 1640 à 1653, qu’illustrent, dans l’exposition, la Vue de la porte du Peuple à Rome ou l’extraordinaire Vue du Forum depuis le Colisée.

« Vue du Forum depuis le Colisée », par Israël Silvestre (vers 1643-1653), Paris, Fondation Custodia, collection Frits Lugt. / FONDATION CUSTODIA, COLLECTION FRITS LUGT

La notoriété aidant, Israël Silvestre sera nommé « dessinateur et graveur du roi ». Il immortalisera ainsi les événements festifs voulus par le monarque à sa propre gloire. « Louis le Grand » se devait d’asseoir son autorité, mise à bas pendant la Fronde. La fête équestre, mémorable, organisée dans les jardins des Tuileries – et représentée dans le dessin préparatoire à la sanguine et à l’encre La Marche triomphale du carrousel de 1662 – ne célébrait donc pas seulement la naissance du dauphin...

Autre événement marquant dont le souvenir hante encore les jardins de Versailles et que la plume et le burin d’Israël Silvestre ont achevé d’immortaliser : les fêtes, avec leurs décors éphémères, des « Plaisirs de l’Isle enchantée » de 1664. Lors de celles-ci – dédiées officieusement à... sa maîtresse –, le roi lui-même incarnera le Roger du Roland furieux, avant d’assister à un ballet sur le « rond-d’eau » des Cygnes, puis à un spectaculaire feu d’artifice. Molière, lui, fera jouer son Tartuffe qui connaîtra aussitôt la censure royale avant que d’être réécrit – et acclamé.

« Vue de la fontaine de la Renommée dans le parc du château de Versailles », par Israël Silvestre (1680), Musée du Louvre, département des arts graphiques. / RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE)/MICHEL URTADO

Soucieux de proclamer l’emprise de Louis XIV sur les nouvelles villes annexées à son royaume, son ministre, Colbert, envoya Israël Silvestre dessiner des vues de Toul, Metz, Charleville ou... Verdun, récemment devenues françaises. A la différence de la fonction purement militaire des fascinantes maquettes des villes fortifiées par Vauban conservées au Musée des plans-reliefs, aux Invalides, ces dessins décrivent un paysage. Cette impression de « point de vue » est, dans les dessins, renforcée par la présence de silhouettes au premier plan.

Israël Silvestre représenta aussi de nombreux jardins exceptionnels, à commencer par ceux de Vaux, dus à Le Nôtre, pour le compte du surintendant Fouquet, que Louis XIV fit arrêter après les fêtes somptueuses données en son honneur – pour crime de lèse-majesté et de probables malversations financières. L’amitié qui le liait dès cet époque au peintre Charles Le Brun le conduisit par la suite à dessiner des vues de la « maison de plaisance » et des jardins richement ornés de son domaine de Montmorency – aujourd’hui disparu.

« Château et parc de Meudon, vus du côté du village de Fleury », par Israël Silvestre (1687), Musée du Louvre, département des arts graphiques. / RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE)/MICHEL URTADO

Les cinq dessins conservés au Louvre des spectaculaires jardins, également dus à Le Nôtre, du château de Meudon, construit par Hardouin-Mansart pour le marquis de Louvois, le ministre de la guerre de Louis XIV, sont un précieux témoignage de leur magnificence passée. Que ne choquait visiblement pas le Mercure galant, un « journal » contemporain cité dans le catalogue, qui édifiait ainsi ses lecteurs : « [Le ministre ne va pas à Meudon] pour prendre du relâche (sic) après ses grandes et longues occupations, mais pour travailler en repos, et ne donner aucune audience... »

« La France vue du Grand Siècle. Dessins d’Israël Silvestre (1621-1691) », au Musée du Louvre, jusqu’au 25 juin 2018. Catalogue, sous la direction des commissaires de l’exposition, Bénédicte Gady et Juliette Trey, Louvre Editions/LienArt, 208 p., 29 €. Voir aussi, sur le site « Israël Silvestre et ses descendants », les 1 521 gravures de l’artiste en libre accès.