Combien de sans-abri vont-ils être renvoyés à la rue samedi 31 mars, jour de la fin des plans hivernaux d’hébergement ? Sur 135 000 places en centres d’hébergement, 15 000 ont été provisoirement ouvertes durant l’hiver, dont 4 000 lors des grands froids. Le ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard, a annoncé, in extremis, vendredi, vouloir pérenniser cinq mille de ces places, comme l’avait fait, en 2017, sa prédécesseure, Emmanuelle Cosse.

« Le gouvernement a fait un réel effort cet hiver et le poursuit comme nous le demandions, salue Louis Gallois, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), soit huit cents associations qui gèrent 80 % de ces centres. Ces cinq mille places maintenues vont être très utiles. » Cependant, sur le terrain, les gestionnaires ne savent pas quel est l’avenir de leur structure et, surtout, celui des personnes accueillies.

« Une promiscuité entre populations très diverses »

A Paris, dans le 10e arrondissement, le gymnase Paradis, géré par l’Armée du salut, accueille encore cent personnes, dont une vingtaine venue d’un gymnase voisin fermé à la mi-mars. « Chaque jour, la préfecture nous demande d’en accueillir de nouveaux, mais, ici, les conditions ne sont pas bonnes, avec une promiscuité entre populations très diverses, des migrants, des mineurs, des SDF assez alcoolisés. Notre présence gêne les riverains et les usagers du gymnase, mais nous n’avons aucune solution de relogement », s’inquiète Samuel Coppens, directeur général de l’Armée du salut.

« Le code de l’action sociale fait pourtant obligation à l’Etat de trouver une autre structure d’accueil », précise Jean-Baptiste Ayrault, porte-parole de Droit au Logement (DAL).

Autres fermetures redoutées : la caserne de Saint-Priest, en banlieue de Lyon, où 200 personnes sont encore hébergées ; un centre de l’Armée du Salut, à Belfort, agrandi, pour l’hiver, de 168 places ; une halte de nuit, à Marseille… Mêmes craintes à Metz (Moselle), au lycée désaffecté Poncelet, géré par la société Adoma, où se confirme une fermeture au 30 avril, comme à Pierrefitte (Seine-Saint-Denis), un centre de quatre-vingts places de l’organisation Groupe SOS.

A Guénange (Moselle), l’école maternelle qui accueille des familles dans des conditions pourtant difficiles a, en revanche, l’assurance de poursuivre sa mission.

« Nous avons vécu une campagne hivernale éprouvante, où il a fallu ouvrir des places d’un jour à l’autre, explique Eric Pliez, directeur général de l’association Aurore. Nous sommes dans l’incertitude, surtout à Paris, où nous devons restituer des sites comme celui de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, dans le 14e arrondissement, et où la “bulle d’accueil” des migrants, ouverte par la Ville dans le 18e arrondissement, ferme », alerte-t-il.

Les campements se reconstituent

L’effet est immédiat : des campements se reconstituent, comme c’est le cas porte d’Aubervilliers, à Paris, avec déjà près de deux mille sans-abri. Il faut donc s’attendre à un pic de personnes à la rue d’ici à l’été. Dans l’urgence, le gouvernement débloque toujours plus de fonds pour régler des nuits d’hôtel, à l’inverse de sa politique déclarée d’insertion et du « logement d’abord », annoncée le 21 septembre 2017.

« Nous hébergeons 2 500 ménages prêts à vivre dans un logement autonome, mais nous n’avons aucun appartement à leur proposer, déplore Eric Pliez. Leur emménagement libérerait les places dont nous avons justement besoin. » « Avec la fragilisation des organismes HLM, nous redoutons une baisse, déjà sensible en Ile-de-France, de la production de logements très sociaux, confie Louis Gallois. Nous ne parviendrons pas aux 40 000 logements prévus par le gouvernement. »

Seule avancée : M. Mézard annonce, vendredi, avoir débloqué un budget de 8 millions d’euros pour vingt-quatre territoires, des métropoles, des départements, abondés de 8 millions d’euros de l’Agence nationale de l’habitat, afin qu’ils mettent en œuvre « des stratégies territoriales ambitieuses et concrètes » pour « réduire drastiquement le “sans-abrisme” ».

Grande ambition mais moyens limités, d’ailleurs pris sur les budgets des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) priés, dès cette année, de baisser leurs coûts de 10 %, soit 20 millions d’euros, puis 57 millions d’euros en 2019.

« C’est incompréhensible, car les CHRS assurent seuls une mission d’accompagnement de publics qui en ont besoin, les sortants de prison, les malades psychiques, les femmes battues… », rappelle le président de la Fédération des acteurs de la solidarité, Louis Gallois.