Il était une sorte de J.D. Salinger du rugby, un homme reclus et coupé du monde, non pas dans la campagne du New Hampshire, mais dans l’immensité du bush australien. Keith Murdoch était surtout passé à la postérité pour être le seul All Black a avoir été renvoyé d’une tournée pour raisons disciplinaires. Il est mort à l’âge de 74 ans, a annoncé vendredi la Fédération néo-zélandaise de rugby à travers un tweet : « New Zealand Rugby pleure son ancien All Black #686 Keith Murdoch ».

Ce pilier monumental à la moustache fournie (110 kg pour 1,83 m) n’a disputé que trois tests avec les All Blacks, mais il en aura marqué l’histoire un soir de décembre 1972 à Cardiff après une victoire contre le pays de Galles (19-16). Sur le terrain, le joueur d’Otago enfonce à plusieurs reprises la redoutable mêlée galloise et inscrit un essai après une course de 20 mètres.

Mais la légende de Murdoch s’écrira dans la nuit de Cardiff. Le héros de l’après-midi a bien l’intention de fêter la victoire. Une fois le bar de l’hôtel Angel fermé, il aurait tenté de s’introduire dans la cuisine à la recherche d’une dernière bière (ou pour se… préparer un sandwich selon une autre version). Peter Grant, responsable de la sécurité du bâtiment, intervient alors et raconte la suite.

« Il a essayé de frapper un des membres de son encadrement et je me suis avancé pour le maîtriser. Ils ont réussi à le repousser, mais il est revenu et m’a frappé ; Ils m’ont empêché de lui répondre et nos hommes, aidés par un ou deux joueurs néo-zélandais, l’ont maîtrisé. »

Résultat, deux jours plus tard le manager des All Blacks Ernie Todd décidait de renvoyer son pilier en Nouvelle-Zélande « pour son bien ». Sauf que Murdoch n’est jamais rentré au pays. S’il a bien embarqué à Heathrow, il est descendu de l’avion lors d’une escale en Australie où il va passer le reste de sa vie à fuir les rares courageux venus s’intéresser à son sort.

Comme le journaliste, Terry McLean, plume redoutée du très influent New Zealand Herald et qui avait retrouvé sa trace, après une quête de cinq ans, sur un site d’extraction de pétrole près de Perth, en Australie. McLean décrit ses brèves retrouvailles avec Murdoch :

« J’étais dans un bus et j’ai demandé au chauffeur de s’arrêter près de l’endroit où se tenait Murdoch. Je suis descendu du bus et j’ai dit : “Bonjour”. Murdoch tenait une clé à molette à la main et m’a demandé de remonter dans le bus. J’ai obéi. »

Histoire de meurtre

En 2001, Keith Murdoch fait de nouveau parler de lui. Il est entendu comme témoin dans une enquête sur le meurtre d’un aborigène dans la province australienne du Northern Territory. Tumanjai Limerick a été retrouvé sans vie dans une mine désaffectée. La dernière personne à l’avoir vu vivant n’est autre que l’ancien All Black. Limerick essayait de cambrioler la maison qu’habitait Murdoch. Ce dernier livrera sa version de faits à la police qui ne retiendra aucune charge contre lui.

Depuis, l’homme n’a plus donné de nouvelles, mais son mythe est resté en Nouvelle-Zélande. Une pièce de théâtre lui a même été consacrée (Finding Murdoch par Margot McRae). En 2009, la fédération organise une cérémonie en son honneur, mais l’intéressé ne répond pas à l’invitation. Murdoch restera à jamais ce « lost All Black », comme le titrait le magazine Tampon ! dans un long portrait en 2016.

Le rugby néo-zélandais continuera à honorer son enfant perdu. Lors de leur séjour à Cardiff, les All Blacks vont boire quelques bières au Angel Hotel. Mais sans passer par l’escale australienne au retour.