La juge Rosa Weber, le 4 avril 2017, à Brasilia. / EVARISTO SA / AFP

A Brasilia, ses confrères ont surnommé son bureau « la Corée du Nord ». Non que la magistrate ait un penchant pour les régimes dictatoriaux, mais plutôt un goût pour le secret qui les entoure. Cadenassée dans son devoir de réserve, Rosa Weber fait partie des onze juges de la Cour suprême qui, mercredi 4 avril, décideront d’accorder, ou pas, un habeas corpusle droit de ne pas être emprisonné sans jugement – à l’ancien président de la République Luiz Inacio Lula da Silva.

Condamné en deuxième instance à douze ans et un mois de prison pour « corruption passive » et « blanchiment d’argent », Lula joue sa dernière carte. Si sa demande était refusée, l’idole de la gauche brésilienne, favori du scrutin présidentiel prévu en octobre, n’aurait d’autre option que de rejoindre l’un des pénitenciers du pays.

Le vote de Rosa Weber, 69 ans, allure stricte, parole rare et sens du devoir chevillé au corps, sera décisif. Quand les autres juges de la Cour suprême, bavards ou convaincus, ont donné des indices de leur vote – cinq seraient en faveur de l’habeas corpus, cinq contre – le sien reste mystérieux. Fuyant les interviews quand d’autres cherchent la lumière, elle maintient le doute, répondant à toute sollicitation par un sourire énigmatique. « Sa décision est une inconnue totale », atteste Roberto Dias, professeur de droit constitutionnel à la fondation Getulio Vargas de Sao Paulo.

Voudra-t-elle accorder un traitement de faveur à un ex-président qui a sorti de la misère des dizaines de millions de Brésiliens indigents ? Sera-t-elle au contraire soucieuse de montrer que la justice est la même pour l’homme de la rue et le puissant ? L’avis de Rosa Weber est d’autant plus attendu qu’elle assumera en août la présidence du Tribunal supérieur électoral, chargé de valider, ou non, la candidature de Lula à l’élection présidentielle.

« Ne nous décevez pas », enjoint le Movimento Brasil Livre (MBL), organisation représentant la droite dure qui nourrit une profonde détestation pour l’ex-métallo et sa politique. « Le peuple veut Lula libre », répond le parti des travailleurs (PT, gauche) de Lula, qui jure de son innocence.

Conséquences sur des milliers de politiciens

Le passé et le présent du Brésil pèseront sur les épaules de la magistrate. Sa décision pourrait avoir des conséquences sur le sort de milliers de politiciens en délicatesse avec la justice et sur l’avenir de l’opération anti-corruption « Lava Jato » : accorder l’habeas corpus à Lula signifierait remettre en question une loi de 2016, décrétant l’exécution des peines de prison après le jugement en deuxième instance et avant l’épuisement de tous les recours.

L’ancien président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, à Curitiba (Brésil), le 28 mars. / RODOLFO BUHRER / REUTERS

Un texte contraire aux principes fondamentaux des droits de l’homme et de la présomption d’innocence, pour certains juristes, arguant, à l’instar de l’Organisation des Nations unies, que « toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ».

Pour d’autres, elle met fin au sentiment d’impunité qui règne au sein d’une classe politique protégée par la lenteur d’une justice débordée. Au Brésil, la plupart des responsables politiques en exercice bénéficient du statut dit de « foro privilegiado » (citoyen privilégié), qui leur permet de n’être redevables que devant la Cour suprême. Or, celle-ci reçoit plus de 7 000 dossiers par an. Ainsi, quand les faits ne sont pas prescrits, ils sont jugés avec des décennies de retard. En témoigne le cas du député Paulo Maluf, 86 ans, ancien gouverneur et maire de Sao Paulo, symbole de la corruption politique assumée, incarcéré en 2017 pour des faits datant des années 1990…

« L’exécution des peines de prison dès la deuxième instance a donné beaucoup de force à Lava Jato, souligne Roberto Dias. Elle a forcé les prévenus apeurés à passer aux aveux. »

« Un échec signifiera que tous les corrompus de tous les partis ne seraient jamais rendus responsables de leurs actes, pour Lava-Jato et au-delà », a tweeté le procureur Deltan Dallagnol, qui a qualifié Lula de « chef suprême » du système de corruption au Brésil, et qui a promis de jeûner et de prier mercredi pour son incarcération.

« Si la Cour suprême accorde l’habeas corpus le 4, des milliers d’assassins, de violeurs et de corrompus seront libérés », écrivent plus de 5 000 juristes et procureurs signataires d’un manifeste remis à la Cour suprême.

Alors que des manifestations étaient prévues, mardi, dans 50 villes d’un Brésil déchiré entre les pro et les anti-Lula, la présidente de la Cour suprême, Carmen Lucia, a appelé au calme réclamant « la sérénité pour que les différences idéologiques ne soient source de désordre social ».