Au terme de la première journée de grève à la SNCF, Eric Béziat, journaliste spécialiste des transports au Monde, a répondu aux questions des internautes sur le bilan de cette première journée de mobilisation.

RD : Le nombre de grévistes était plus faible qu’en mars. Comment l’expliquer ? Est-ce un échec pour les cheminots ?

En effet, et c’est un chiffre inattendu : 33,9 %, à comparer à celui du 22 mars, 35,4 %, alors qu’on attendait aujourd’hui une grève plus importante. Mais il faut l’examiner avec attention. Presque la moitié du personnel indispensable à la circulation des trains était en grève, contre 36 % il y a treize jours. Ce qui explique la forte perturbation dans les circulations. Les syndicats sont un peu déçus, probablement, mais ils ne le diront pas et, en général, ils contestent les chiffres de la direction. Il faut voir que la sociologie de la SNCF a changé depuis les années 1990 : davantage de cadres et de cols blancs. Or ceux-ci ont fait grève à 17 et 16 %.

Emilie : Le personnel de la SNCF est-il plus syndiqué que la moyenne nationale ? Comment peut-on expliquer qu’ils arrivent à faire « plier » les gouvernements (du moins par le passé) ? Leur statut a-t-il déjà été modifié ?

Le taux de syndicalisation à la SNCF est en effet un des plus élevés de France. Environ un tiers des équivalents temps plein. Les cheminots cumulent deux critères qui en font une population très syndiquée. L’appartenance à la fonction publique et l’appartenance au secteur des transports, où les taux de syndicalisation avoisinent les 20 %. On notera aussi la présence de 2 000 salariés (en équivalent temps plein) qui disposent d’une délégation syndicale (c’est-à-dire qui ont une activité syndicale tout en étant payés par la SNCF).

Leur capacité à bloquer le pays, comme d’autres professions (routiers, aiguilleurs du ciel) rend leurs actions très efficaces. Quant à leur statut, il n’a jamais été modifié.

Guillaume : Quels sont les moyens à la disposition de l’exécutif pour contrer ces grèves ? Car n’y a-t-il pas un risque d’atteinte au principe de continuité du service public ?

Le droit de grève étant garanti par la Constitution de la Ve République, les moyens qu’a l’Etat pour empêcher un tel mouvement sont donc limités. La loi de 2007 sur la continuité du service public ne garantit pas un service minimum dans le transport, contrairement aux idées reçues, puisqu’elle ne prévoit pas de réquisition. Elle se contente d’obliger les parties prenantes à discuter préalablement. Les grévistes doivent se déclarer 48 heures avant. Et les entreprises sont tenues d’informer les voyageurs du plan de transport conçu à partir de ces déclarations, plan qui lui doit être absolument tenu. Mais si 100 % des salariés d’une ligne se déclarent grévistes, il n’y aura pas de train.

André : Je croyais que la grève perlée était illégale en droit du travail. Qu’en savez-vous ?

La grève perlée est en effet illégale. Mais nous ne sommes pas en face d’une grève perlée. C’est en fait un abus de langage – venu des médias, reconnaissons-le. Une grève perlée est plutôt une grève du zèle consistant à être présent mais en diminuant drastiquement son efficacité. Le mode de grève choisi par les cheminots pourrait s’appeler une grève saucissonnée ou en pointillé, consistant à déposer 18 préavis de deux jours pour des motifs différents. Elle vise à désorganiser au maximum le service à moindre coût pour les cheminots.

Siri : N’est-ce pas hypocrite de la part des cheminots d’invoquer la perte de salaire alors que, après la grève, ils parviennent toujours à négocier avec la SNCF pour se faire payer les jours manqués ?

Les cheminots ne sont plus payés lors des jours de grève depuis plusieurs années. Louis Gallois (1996-2006) a imposé ce principe mais toléré un étalement de l’impact financier. Guillaume Pepy, peu après sa nomination par Nicolas Sarkozy en 2008, a mis fin à l’étalement. Et les cheminots en grève subissent directement dès le mois suivant une baisse de rémunération. C’est la raison principale en fait pour laquelle les cheminots ont inventé ce système de grève de deux jours tous les cinq jours.

Julien : Pourquoi l’Etat français ne reprend-il pas la dette de la SNCF comme l’a fait l’Allemagne avec la Deutsche Bahn dans les années 1990 ?

Il est bien question que l’Etat reprenne au moins une partie des 46 milliards d’euros de dette de SNCF Réseau. Mais il est vrai que le gouvernement ne semble pas pressé. Il a toutefois une contrainte majeure : s’il veut transformer la SNCF en société nationale par actions, le pouvoir doit mettre en ordre les comptes de la filiale.

Or, avec une telle dette, le ratio d’endettement est incompatible avec un statut de société. SNCF Réseau pourrait garder une part de la dette, mais il faudra que l’Etat reprenne au moins 35 milliards, ce qui va faire monter le taux d’endettement de la France et lui faire dépasser la barre symbolique des 100 % du PIB. Quant à la cause de la dette : certes, il y a les lignes grande vitesse, mais ce n’est pas la seule. Le déficit récurrent du système a creusé la dette aussi très largement.

Marie : Quelles leçons peut-on tirer de l’exemple allemand et de son ouverture à la concurrence ?

L’exemple allemand est intéressant. Points positifs : l’offre de trains a augmenté et leur fréquentation avec. Le coût pour la collectivité publique du ferroviaire a baissé. La qualité de service s’est améliorée. Aujourd’hui, la Deutsche Bahn, l’ancien monopole historique, est la plus puissante compagnie ferroviaire au monde.

Point négatif : les prix ont augmenté un peu plus que l’inflation. Et de nombreux opérateurs alternatifs se plaignent du fait que le gestionnaire d’infrastructure avantage la Deutsche Bahn. C’est en fait un modèle qui plaît beaucoup à la direction de la SNCF : une ouverture à la concurrence légère qui a renforcé l’opérateur historique. Mais il faut dire que l’Etat a repris l’intégralité de la dette dès la mise en place de la réforme, en 1997.

Victor : Quels vont être les impacts économiques de cette mobilisation ?

En 2016, lors des grèves contre la nouvelle organisation du travail à la SNCF, l’entreprise publique a calculé un coût moyen pour l’entreprise compris entre 15 et 20 millions d’euros par jour. Soit plus de 300 millions pour vingt jours de grève.

Reste à calculer les dommages collatéraux pour l’économie, plus difficiles à estimer. La présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, a mis en avant cet argument dans un communiqué diffusé mardi soir et réclamant au gouvernement « le respect d’un service minimum ». Elle y accuse la grève de « pénaliser lourdement l’économie de la région ».

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