Un indique Panneau « Grève : pensez co-voiturage » sur l’autoroute  A55 près de Marseille, dimanche 1er avril. / BORIS HORVAT / AFP

France, novembre 1995. Un pays bloqué par la grande grève des transports. Des embouteillages monstres autour des villes. Des milliers de personnes privées de déplacements… Le scénario de la thrombose pourrait-il se répéter cette année, à compter des 3 et 4 avril, coup d’envoi d’une grève majeure de la SNCF destinée à lutter contre la réforme ferroviaire lancée fin février par le gouvernement ?

Peut-être. Mais 2018 n’est pas 1995. Entre-temps, la révolution des plates-formes numériques et des « applis » a bouleversé le monde des transports. Blablacar, covoiturage du quotidien, cars Macron, économie du partage… Une forme de concurrence au rail – passant à la fois par la route et par le smartphone – existe déjà. Et elle pourrait changer la donne de la grève des cheminots.

Le président de la SNCF, Guillaume Pepy en a d’ailleurs pris la mesure depuis longtemps. Et en a fait la promotion dès le lancement du mouvement. L’entreprise ferroviaire a ainsi créé ces dernières années de nombreuses filiales spécialisées : Ouibus pour le car longue distance, IDVroom pour le covoiturage, Ouicar pour la location de véhicules entre particuliers. « La solution alternative, maintenant, c’est le covoiturage », a-t-il lancé fin mars sur France Inter. La SNCF a d’ailleurs rendu gratuit son service IDVroom pour les passagers pendant la durée des grèves.

« Deux fois plus de réservations »

Reste que le grand atout du train, c’est sa capacité à transporter en masse des personnes. Près de 5 millions de voyageurs se déplacent chaque jour avec la SNCF, dont 80 % pour des trajets quotidiens en Ile-de-France. A côté, les autres modes font figure de nains. Sur toute l’année 2017, sept millions de passagers ont emprunté les autocars longue distance dits « cars Macron » en France.

L’enjeu est donc de taille pour ces nouveaux acteurs, en particulier pour les pionniers du covoiturage domicile-travail qui ne s’est par réellement imposé pour le moment. « Cela permet de faire connaître le service », se réjouit Julien Honnart, président et fondateur de Klaxit. Le 3 avril, par rapport à un mardi classique, on va faire deux fois plus de réservations. » Sa start-up fait partie des huit plates-formes mises en avant par Ile-de-France Mobilités sur son site Internet vianavigo.com. Outre Klaxit et IDVroom, on y retrouve Blablalines, Clem’, Covoit’ici, Karos, OuiHop et Roulez Malin.

A l’instar de M. Pepy, Valérie Pécresse, présidente d’Ile-de-France Mobilités et patronne de la région, a mis en avant la gratuité du covoiturage en Ile-de-France pendant les grèves. Consciente des risques de paralysie économique si la grève dure, Mme Pécresse a lancé un appel aux conducteurs. « Tous ceux qui prennent leur voiture les jours de grève, s’il vous plaît, solidarité civique, inscrivez-vous sur des plates-formes (…), prenez des passagers avec vous », a-t-elle demandé.

Isilines a vu ses réservations « tripler par rapport à la normale »

Dernière initiative, soutenue par la Ville de Paris, Waze, Facebook et la SNCF : le lancement fin mars d’Autostop-Citoyen. Il s’agit du toilettage du bon vieil autostop non rémunéré à l’âge des réseaux sociaux. Pas besoin d’appli dans ce cas. Il suffit d’imprimer un macaron depuis le site Internet autostop-citoyen.fr ou par sa page Facebook, puis de le mettre bien en vue sur son pare-brise pour signaler qu’on est prêt à prendre des auto-stoppeurs.

Même branle-bas de combat du côté des longs trajets. Blablacar, le leadeur du covoiturage longue distance, qui a ajouté un petit logo rouge « grève » sur la page d’accueil de son site Internet, annonçait, lundi, que son niveau de réservations en avril avait doublé par rapport à un mois normal.

Et les cars Macron ne sont pas en reste. Isilines, filiale du groupe Transdev, a vu ses réservations « tripler par rapport à la normale, sur l’ensemble des lignes, tant pour les courtes distances que pour les Paris-Lyon ou Paris-Marseille », selon son directeur général, Hugo Roncal.

Effets du « yield management »

« Le niveau de réservations pour le 3 avril est en hausse de 80 % par rapport à un mardi classique, se félicite Yvan Lefranc-Morin, directeur général de FlixBus France, leadeur du secteur avec Ouibus. Le mois d’avril s’annonce très fort, d’autant que s’ajoutent les vacances scolaires au phénomène des grèves. Nous avons davantage de réservations [environ + 30 %] et beaucoup plus à l’avance que d’habitude. »

Les lignes d’autocars similaires à celles des TGV sont les plus touchées par le phénomène. Cas exceptionnel : tous les FlixBus Paris-Lyon pour le mardi 3 avril étaient pleins le lundi soir. Pour faire face à cet afflux inédit, la société a décidé de mettre 300 cars en circulation le premier jour de la grève, soit 50 de plus qu’en temps ordinaire.

Du coup, les passagers risquent d’expérimenter dans les cars Macron ce qu’ils reprochent souvent à la SNCF : les effets du « yield management », cette méthode consistant à moduler le prix selon le taux et la vitesse de remplissage. On pouvait ainsi trouver dernièrement, pour le lundi 9 avril, autre jour programmé de grève, des allers Lyon-Paris en autocar à plus de 70 euros, soit le prix d’un billet TGV pour un trajet de plus de six heures.