Le président Barack Obama prononce une allocution de bienvenue à l’université de Hampton, en Virginie, le 9 mai 2010. / JIM WATSON / AFP

Austin Sams a une idée claire de ce qu’il fera lorsqu’il sera diplômé de l’université d’Hampton (Virginie). Avocat, il défendra des clients afro-américains. Britani Lambert aussi sait quelle sera sa mission après ses études de pharmacie. La jeune femme retournera dans sa ville natale de Baltimore (Maryland) pour ouvrir une officine dans un quartier noir défavorisé. En quatrième année de médecine, Dominique Daly, venue du Texas, n’a, elle non plus, aucun doute sur son futur. Son titre de docteur en poche, elle fera tout pour améliorer l’accès à la santé des Noirs américains.

Qu’ils viennent de Floride, de Géorgie, du Kentucky ou du New Jersey, les étudiants afro-américains de cette « université historiquement noire » – selon la dénomination officielle –, ont en commun plus que la couleur de leur peau. Tous ont choisi de poursuivre leurs études sur un campus où 94 % des étudiants et l’immense majorité des enseignants sont noirs ; tous ont quitté un système scolaire « majoritairement blanc » dans lequel ils ne se sentaient pas à leur aise ; surtout, tous ont de grandes ambitions. Ces jeunes, issus de divers milieux sociaux, sont déterminés à devenir des leadeurs dans leur communauté, comme en témoigne leur participation au Leadership Program de l’université d’Hampton, animé par Jarris Taylor, un ancien militaire chargé de promouvoir la diversité dans l’armée américaine sous Barack Obama.

En perte de vitesse

Posée en bord de mer, à l’embouchure de la rivière York, Hampton est l’une des dizaines d’universités fondées après la guerre civile (1861-1865) et l’abolition de l’esclavage pour accueillir les étudiants afro-américains, alors interdits sur les campus blancs. Ici, le passé de l’ancien Etat esclavagiste de Virginie résonne toujours. Niché dans un bâtiment de brique rouge, un musée relate l’histoire de Samuel C. Armstrong, l’officier blanc responsable d’un bataillon de soldats noirs durant la guerre civile, qui fut à l’origine de la première école sur le campus. Quant au chêne sous lequel fut lue la Proclamation d’émancipation signée par Abraham Lincoln en 1863, il y est toujours révéré. Une pousse en fut même confiée à Barack Obama lors de sa venue sur place en 2010.

Cent cinquante ans après leur création, la persistance de ces Historically Black Colleges and Universities (HBCU) peut sembler anachronique. En perte de vitesse, elles ne scolarisent plus que 10 % des trois millions d’étudiants afro-américains. Mais pour M. Taylor, loin d’être une anomalie, ces institutions répondent, au contraire, à des besoins très actuels. « Elles proposent des opportunités d’éducation à des jeunes de milieux qui ne connaissent pas forcément toutes les possibilités qui s’offrent à eux. »

Soutenus par des fonds et des prêts fédéraux ainsi que par des fondations privées telles que le Thurgood Marshall College Fund, les HBCU ­apportent des aides financières aux étudiants de milieux défavorisés. Un coup de pouce bienvenu pour les trois quarts des inscrits : la scolarité à Hampton coûte environ 40 000 euros par an. « Dans les HBCU, les étudiants partagent les mêmes valeurs et une histoire de réussite pour la minorité noire », juge aussi Harry L. Williams, le président du Thurgood Marshall College Fund, qui dresse un parallèle avec le réseau des universités catholiques.

« Ici,on ne doit faire face à aucun préjugé. Cela nous donne confiance en nous et nous permettra ­d’affronter le monde par la suite »
Austin Sams, étudiant à l’université de Hampton

Rien à voir donc avec une survivance de la ségrégation raciale, dont l’évocation fait bondir les étudiants d’Hampton. « Ces universités sont un pilier de la communauté noire aux Etats-Unis. Elles la rendent plus forte », avance Ahmaad Edmond, un jeune du Kentucky, étudiant en sciences politiques, premier de sa ­famille à faire des études supérieures. « La ségrégation était imposée, fondée sur l’exclusion. Ces universités, au contraire, sont inclusives », ­affirme pour sa part Jose Thomas, étudiante en économie. Comme preuve supplémentaire du rôle irremplaçable de ces campus, la jeune femme, originaire de la Dominique, souligne l’activisme politique qui y a toujours régné. Et que l’on retrouve encore aujourd’hui.

Pour Rabia Brown, venue du New Jersey, l’inscription à Hampton semble d’ailleurs relever d’un acte militant. « J’étais acceptée dans des universités majoritairement blanches, mais j’ai choisi de venir ici, confie avec fougue la jeune femme. En tant que femme noire, c’est la meilleure option : je peux y être fière de ma culture, de mon identité noires. Durant ma scolarité, l’histoire des Noirs s’est résumée à l’esclavagisme, à la lutte pour les droits civiques et à Obama. C’est tellement plus que cela ! » Comme ses camarades, Rabia apprécie qu’à Hampton, on leur enseigne « d’où on vient, qui on est, une condition pour notre réussite ». Au risque de l’entre-soi, ces jeunes apprécient le confort d’un environnement bienveillant. « C’est important de se retrouver avec des gens qui nous ressemblent, confie aussi Britany. Ici,on ne doit faire face à aucun préjugé. Cela nous donne confiance en nous et nous permettra ­d’affronter le monde par la suite. » « Au moins, ici, on n’est plus une minorité », explique en souriant Austin, dont toute la famille, originaire de ­Floride, est passée par les HBCU.

Enjeu majeur

Au-delà de leur propre histoire, tous sont ­convaincus que l’éducation des jeunes  Noirs est un enjeu majeur. « Surtout depuis l’élection de Donald Trump », qui, après Obama, a donné une tonalité nouvelle au débat public sur les minorités. « L’image des Afro-Américains dans les ­médias est celle de jeunes voyous », regrette ­Rabia. Les étudiants d’Hampton se veulent, eux, des exemples de réussite, des modèles dont ils espèrent faire profiter leur ville. Déjà, la plupart d’entre eux sont engagés dans des organisations humanitaires ou caritatives.

Ces jeunes reconnaissent les progrès de la ­société américaine en termes d’inclusion depuis les luttes pour les droits civiques, il y a cinquante ans. Mais, alors qu’ils ont grandi sous les deux mandats d’Obama – qui reste avec Malcolm X, Martin Luther King et Mohammed Ali, l’une de leurs sources d’inspiration –, ils ajoutent promptement que bien des choses n’ont pas changé. « Les Black Panthers se battaient contre les brutalités policières, maintenant on a le mouvement Black Lives Matter qui fait de même », relève Britany Ma grand-mère enseignait dans une école ségréguée, témoigneJala Tucker, originaire de Baltimore. Pour elle, le problème n’était pas tant l’absence de mixité raciale que le manque de moyens. Eh bien, aujourd’hui, c’est pareil. »

« Le manque d’éducation des jeunes hommes noirs, c’est une nouvelle forme d’esclavage », ose même Ahmaad. « Les Noirs sont toujours moins bien payés que les Blancs, alors que, ici, c’est notre pays autant que le leur », lance Rabia. Pour changer le système, ils sont convaincus qu’il leur faudra accéder à des postes-clés. « Prenez la justice, avance Austin, le futur avocat. Seuls 4 % des ­avocats américains sont noirs. Comment voulez-vous que les Afro-Américains soient bien représentés ? » Aujourd’hui, 40 % des ingénieurs noirs sont passés par les HBCU, de même que 70 % des dentistes ou 50 % des enseignants. Mais ces chiffres vont décliner dans les prochaines années. Pour la majorité des étudiants noirs, la quête identitaire ne passe plus forcément par ces lieux témoins de l’histoire américaine.