Manifestation de l'intersyndicale au premier jour de grève nationale des cheminots contre le projet de réforme de la SNCF, gare de l'Est à Paris, mardi 3 avril. / Jean-Claude Coutausse/French-Politics pour "Le Monde"

En langage pugilistique, on appelle ça montrer ses muscles. Alors que le trafic ferroviaire est fortement perturbé par un mouvement social des cheminots, commencé mardi 3 avril et qui se poursuivait mercredi, l’exécutif martèle sur tous les tons qu’il n’est pas question pour lui de renoncer à sa réforme de la SNCF, et ce même si les syndicats de la compagnie ont annoncé deux jours de grève tous les cinq jours jusqu’au 28 juin.

« Nous voulons engager une réforme ambitieuse du monde ferroviaire (…). Le statu quo n’est pas acceptable (…), n’est pas tenable », a assuré le premier ministre, Edouard Philippe, lors de la séance des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, mardi après-midi, suscitant la bronca des députés de l’opposition. Si Matignon reconnaît que « la mobilisation est forte » du côté des cheminots, celle-ci « ne changera pas la détermination du gouvernement sur les grandes lignes de la réforme », certifie un conseiller du premier ministre.

Même s’il s’en défend, l’exécutif a choisi de jouer l’opinion contre les cheminots grévistes. Interrogée elle aussi à l’Assemblée, Elisabeth Borne, la ministre chargée des transports, a répété à plusieurs reprises, fiche bristol à la main, « pense[r] d’abord aux usagers, qui ont galéré ce matin et qui galéreront encore ce soir ». Elle a également fustigé un « mouvement de grève long et pénalisant ». « Comme 4 millions de Français, vous êtes peut-être touchés (…) par la grève qui perturbe fortement la SNCF et nous vous adressons notre soutien plein et entier si tel est le cas », a indiqué le mouvement La République en marche (LRM) dans un courriel à ses adhérents. « Ce sont les syndicats qui jouent l’opinion, avec une grève perlée destinée à faire pression sur le gouvernement », accuse l’entourage d’Edouard Philippe.

« Epreuve de vérité »

« J’entends autant les grévistes (…) que ceux qui veulent aller travailler », a poursuivi le premier ministre, une formule très « en même temps » qui rappelait celles de certains de ses prédécesseurs à Matignon confrontés à la même situation, comme Dominique de Villepin lors du débat sur le contrat première embauche (CPE) en 2006. « J’entends ceux qui manifestent, mais j’entends aussi ceux qui ne manifestent pas », avait déclaré le chef du gouvernement de l’époque… avant de finalement renoncer à sa réforme devant le blocage des universités par les étudiants.

« On avancera quels que soient les risques d’opinion », veut pourtant croire Matignon, où l’on assure qu’il s’agit d’une « conviction » et non pas d’une « posture ». L’enjeu est de taille pour le gouvernement confronté à son premier mouvement social d’envergure en onze mois. Mais aussi pour Emmanuel Macron, élu il y a presque un an pour imposer sa « transformation » et lever ce qu’il considère être les « blocages » de « l’ancien monde ». « C’est une épreuve de vérité, reconnaît un proche du chef de l’Etat. Macron a été choisi par les Français pour sa volonté de tout changer, s’il recule à la première grève, ce sera un signal politique terrible. » Selon un sondage IFOP publié le 1er avril, 46 % des Français interrogés approuvent la grève à la SNCF, contre 42 % deux semaines plus tôt.

Dans l’entourage du président de la République, certains comme le sénateur François Patriat plaident pour ne pas céder un pouce de terrain. « Le gouvernement doit être ferme et continuer à dialoguer, explique l’élu de Côte-d’Or. Il a déjà montré qu’il était capable de faire des compromis, il doit continuer à faire de la pédagogie car l’opinion publique n’est pas dupe, elle comprend bien que la SNCF doit changer. » Ce macroniste de la première heure dit « ne pas croire à une grève de trois mois » et appelle les pro-gouvernement à monter au front. « On entend beaucoup les manifestants et les syndicats, il faut davantage entendre les défenseurs de la réforme », estime M. Patriat.

Dans les rangs de la Macronie, d’autres s’inquiètent au contraire du ton martial utilisé et invitent à « ne pas humilier » les cheminots. « Il faut faire attention à la façon dont on parle. A être trop cassant, on obtient que de la radicalité », met en garde un élu. « La plupart des cheminots ont des inquiétudes, et je les comprends. (…) Ils en ont un peu marre du “cheminot bashing”. Moi, je les aime les cheminots. Je vois comment ils se dévouent. Je vois comment ils bossent », a plaidé Richard Ferrand, le patron du groupe La République en Marche (LRM) à l’Assemblée nationale, mardi sur Public Sénat.

« Je respecte les grévistes, la grève est un droit constitutionnellement garanti », a lui-même assuré Edouard Philippe à l’Assemblée nationale. Interrogé sur France Inter, lundi 2 avril, le député (LRM) des Hauts-de-Seine Gabriel Attal avait appelé les cheminots à « sortir de la gréviculture », une déclaration dénoncée par l’opposition mais qui a également suscité un certain malaise parmi les députés de la majorité. Marc Fesneau, le président des députés MoDem, a notamment appelé à « dépassionner » le débat.