Robie Porter, Charlotte Rampling et Sam Waterston dans « Three », de James Salter (1969) / CINEMATHEAQUE FRANCAISE

Les écrans de la semaine sont politiques : directement lorsqu’un satiriste anglais évoque la mort du petit père des peuples, sur le mode de la métaphore, avec la ressortie d’un dessin animé tchécoslovaque (vous vous souvenez de la Tchécoslovaquie ?), sur celui de l’intimité, quand un jeune cinéaste colombien fait le portrait d’un couple cubain au temps des pénuries.

Danse macabre sur un mausolée : « La Mort de Staline »

La mort de Staline - Bande-annonce
Durée : 01:32

Auteur des séries The Thick of It et Veep, qui se gaussaient respectivement de la mère de toutes les démocraties et du pays qui a donné au monde Abraham Lincoln et Donald Trump, Armando Ianucci n’a pas quitté son habit de satiriste en adaptant le roman graphique de Thierry Robin et Fabien Nury, La Mort de Staline (Dargaud, 2010).

Au départ, il y a une tragédie, celle des millions de victimes du stalinisme, dont les spectres planent sur la comédie noire qui se joue dans ce film. Autour du corps agonisant puis refroidissant du dictateur, chacun des membres d’un groupe de criminels plus ou moins repentants (Beria, Khrouchtchev, Malenkov, Molotov…) s’agite pour s’assurer que la succession du petit père des peuples ne se fera pas à ses dépens.

Mêlant une reconstitution historique scrupuleuse et une invention comique permanente, servie par des acteurs que l’on ne s’attendait pas à voir ici (les Américains Jeffrey Tambor et Steve Buscemi, les Britanniques Simon Russell Beale et Michael Palin), Ianucci mène sa danse macabre avec un entrain qui n’empêche pas l’affliction. Thomas Sotinel

« La Mort de Staline », film britannique et français d’Armando Ianucci, avec Steve Buscemi, Jeffrey Tambor, Simon Russell Beale, Michael Palin (1 h 48).

Marionnettes tchèques : « La Révolte des jouets »

Extrait La Révolte des jouets
Durée : 01:48

En 1946, plus d’un demi-siècle avant Toy Story, Hermina Tyrlova, pionnière du cinéma d’animation tchèque, imagine que les jouets mènent leur propre vie. Petit joyau, La Révolte des jouets est un hymne à la résistance composé sur les décombres de la seconde guerre mondiale. Le film commence par l’irruption d’un gestapiste dans l’échoppe d’un fabriquant de marionnettes qui s’enfuit en jetant dans son poêle une figurine qui ressemble étrangement au Führer.

Comment ne pas penser aux innombrables victimes d’Hitler anéanties dans les fours crématoires. Comment ne pas penser au terme par lequel les nazis désignaient leurs victimes dans les camps, « figuren », qui désigne justement, des marionnettes, des figurines. Celles-ci prennent ici leur revanche, spectacle qu’il est néanmoins permis aux tout-petits de savourer dans la pleine innocence de leur âge et du contexte historique dans lequel baigne ce récit faussement naïf, soutenu par la composition joyeusement dissonante de Julius Kalas.

Le programme est complété avec La Berceuse, de la même réalisatrice et avec L’Aventure de minuit, de Bretislav Pojar (1960) qui joue sur le même motif de l’éveil nocturne des jouets, en l’occurrence un petit train de bois en rivalité avec un rutilant train électrique. Jacques Mandelbaum

« La Révolte des jouets », films d’animation tchèques d’Hermina Tyrlova et Bretislav Pojar. 33 minutes.

L’amour en « période spéciale » : « Candelaria »

Candelaria (2018) - Bande-Annonce VOST - En salles le 4 avril 2018
Durée : 01:52

Les autorités castristes, qui ont toujours su passer sans effort du lyrisme à la nov­langue, avaient appelé cette époque « période spéciale en temps de paix ». C’était après la chute du mur de Berlin, lorsque Cuba était privée du salami hongrois et du fromage bulgare, qui complétaient l’ordinaire, et de bien d’autres choses encore, au point qu’une bonne partie de la population fut frappée de malnutrition.

Le réalisateur colombien Jhonny Hendrix Hinestroza a voulu ressusciter ce moment cruel de l’histoire de l’île et en faire l’écrin d’un amour finissant. C’est un projet étrange, qui trouve son sens grâce à la présence à l’écran de deux acteurs septuagénaires, Alden Knight et Veronica Lynn qui incarnent Victor Hugo (c’est son prénom) ouvrier qui attend la retraite dans une usine de cigare et Candelaria, lingère dans un grand hôtel (c’est le début du tourisme de masse à Cuba) le jour et chanteuse de bar la nuit.

Ils donnent une chair lasse et frémissante à ces vieux amants, qui se débattent entre la pénurie et l’approche de la fin. En insistant sur les détails matériels, sur l’érosion de tous les désirs qu’entraîne la lutte quotidienne contre la pénurie, le cinéaste trouve un rythme à la fois modeste et implacable, adouci par l’attention qu’il porte à ses personnages. Il montre ce qui tient : le système de santé, une culture faite de musique et de base-ball, et ce qui se défait : l’adhésion à un idéal politique, la foi dans l’avenir. T. S.

« Candelaria », film colombien et cubain de Jhonny Hendrix Hinestroza. (1 h 27).

Au pays des poules heureuses : « Nul homme n’est une île »

Nul homme n'est une île (2018) - Trailer
Durée : 01:42

Le documentaire de Dominique Marchais s’ouvre sur une fresque murale d’Ambrogio Lorenzetti (XIVe siècle), dite Du bon et du mauvais gouvernement, ornant les quatre pans d’une salle du palais communal de Sienne, en Italie. Sur les commentaires de l’historienne médiéviste Chiara Frugoni, la caméra balaie l’ouvrage, où sont exposés les principes régissant l’harmonie des cités humaines et, à l’opposé, ceux menant au déséquilibre et à la discorde, au-dessus desquels trône une allégorie du « bien commun ».

Entre la Sicile et les Alpes, Dominique Marchais filme des agriculteurs (ceux de la coopérative Le galline felici, « les poules heureuses »), un architecte, suisse qui veut freiner l’exode rural et les pratiques de démocratie locale en Autriche. Aussi les paysages parcourus, l’expansion des zones commerciales, des autoroutes, la laideur et la normativité. Si la beauté du monde est son seul sujet (d’inquiétude), il ne se permet pas d’enchérir sur elle pour mieux restituer les idées, les propos de chacun. Mathieu Macheret.

« Nul homme n’est une île », documentaire français de Dominique Marchais (1 h 36).

Sur la route, sulla strada : « Three »

Robie Porter, Charlotte Rampling et Sam Waterston dans « Three », de James Salter (1969) / CINEMATHEAQUE FRANCAISE

Parmi les dizaines de films exhumés à l’occasion du « fac-similé » de la première Quinzaine des réalisateurs, organisée à Cannes en 1969, il y a cet objet rare, le seul long-métrage de l’écrivain James Salter. Inspiré d’une nouvelle d’Irwin Shaw il met en scène l’errance estivale et européenne de deux jeunes Américains (Robie Porter et un tout jeune Sam Waterston, presque gracile).

Le metteur en scène observe leurs gestes de petits mâles, leurs silences, avant de placer sur leur route une Anglaise fantasque, Marty, qui offre à Charlotte Rampling un rôle comme elle en retrouvera rarement, un personnage solaire qui laisse les garçons au pied du mur de leur masculinité.

Rien de tout cela n’est énoncé, tout passe par une mise en scène étonnamment maîtrisée, allusive, légère, qui partage avec ses personnages l’ivresse d’un été entre Italie du Nord, pays niçois et pays basque. Et si vous ratez Three, samedi soir, allez voir, dans le cadre de la même programmation, le très beau Entre la mer et l’eau douce, chronique juvénile et québécoise de Michel Brault le lundi suivant. T. S.

« Three », film américain de James Salter, avec Sam Waterston, Robie Porter, Charlotte Rampling, Pascale Roberts (1 h 44), le 7 avril à 19 heures, Cinémathèque, 51 rue de Bercy, Paris 12e.