« L’année de mes 12 ans mes parents ont eu deux conversations avec moi. La première, c’était sur les choux et les roses […] La deuxième conversation, c’était pour m’expliquer quoi faire si un flic me contrôlait. Ça a énervé maman qui a dit à papa que j’étais trop jeune pour ça. Il a répondu qu’il n’y avait pas d’âge pour être arrêté ou se faire descendre. » Ces quelques phrases lâchées dès le premier chapitre par Starr, l’héroïne, peuvent résumer le roman américain The Hate U Give, paru jeudi 5 avril en France chez Nathan.

Ce premier roman d’Angie Thomas, écrivaine trentenaire originaire du Mississipi, est raconté du point de vue d’une jeune femme noire de 16 ans qui assiste à la mort de son meilleur ami lors d’un contrôle de police. Starr, déjà écartelée entre sa vie dans un quartier pauvre gangrené par les gangs et sa scolarité dans un lycée de banlieue chic, va apprendre à relever la tête et se battre pour que justice soit rendue à son ami abattu alors qu’il était désarmé.

Publié voilà un peu plus d’un an aux Etats-Unis, l’ouvrage a été inspiré par le mouvement Black Lives Matter, qui, à travers l’Amérique, rassemble des militants afro-américains depuis 2013 pour dénoncer les violences policières et le racisme systémique contre les noirs. Edité dans une vingtaine de pays et en cours d’adaptation à Hollywood, le livre a été largement salué par la critique et occupe toujours le top 3 du prestigieux classement des best-sellers du New York Times dans la catégorie Young Adult, qui désigne la littérature adolescente.

Exprimer la frustration

Détail de la couverture de « The Hate You Give ». / Nathan

Angie Thomas n’envisageait d’ailleurs pas d’écrire un roman pour les adultes, bien que son texte soit universel : « Je pense que les livres pour adultes sont ennuyeux. Je trouve que les adolescents sont plus ouverts d’esprit et je sentais que je pourrais créer plus d’empathie chez eux », explique-t-elle lors d’une conférence à la bibliothèque du Congrès, à Washington. Mais aussi parce que les adolescents sont directement concernés par les brutalités policières aux Etats-Unis : « Ce sont généralement des jeunes gens, des Noirs désarmés qui perdent la vie. » Elle égrène régulièrement lors des conférences les noms et l’âge de certaines victimes :

« Trayvon Martin avait 17 ans, Mike Brown 18, Tamir Rice en avait 12. Et beaucoup de très jeunes gens sont affectés par ces morts, ce sont même probablement les plus affectés parce qu’ils s’identifient. »

C’est toutefois à l’université qu’Angie Thomas commence à écrire The Hate U Give, sous la forme d’une nouvelle, en réaction à l’affaire Oscar Grant, abattu par la police à Oakland, en Californie, en 2009 : « Je voulais trouver un moyen d’exprimer ma frustration, ma colère et en même temps trouver un moyen de me redonner espoir. Je voulais aussi montrer l’aspect humain de tous ces cas », explique-t-elle à la chaîne YouTube Epic Reads. « A l’école, les gens parlaient de ce qu’[Oscar] avait fait, qu’il avait peut-être mérité, qu’il avait tort. [Ces victimes] sont parfois jugées pour leur propre mort », détaille l’autrice au Guardian. En 2015, la multiplication des victimes et l’intensification des protestations convainquent Angie Thomas de revenir sur cette nouvelle.

Aux Etats-Unis, les violences policières ne sont qu'un « maillon » d'un racisme institutionnel
Durée : 04:18

Née en 1988 dans le secteur de Georgetown à Jackson Mississipi, l’un des quartiers les plus pauvres des Etats-Unis, l’écrivaine a aussi insufflé un ressenti et un vécu personnel dans le récit. « Quand j’avais 6 ans, j’étais au parc, et deux trafiquants de drogue ont décidé de recréer le Far West en déclenchant une fusillade », a-t-elle raconté lors d’une conférence à Austin (Texas) l’été dernier. « J’ai échappé en courant aux tirs croisés, et, peu après, ma mère m’a emmenée à la bibliothèque, parce qu’elle voulait que je voie qu’il y avait plus dans le monde que ce que j’ai vu ce jour-là. » Angie Thomas a également tenu à partager beaucoup de passions avec son héroïne Starr, faisant ainsi de nombreuses mentions à Harry Potter, au Prince de Bel Air, au groupe de R’n’B féminin TLC et à sa collection de paires de baskets.

Des roses dans le béton

Tel un classique pour adolescents, The Hate U Give, parfois abrégé T.H.U.G, est un écrit initiatique. Angie Thomas montre comment Starr finit par trouver sa voie et aiguiser son engagement politique. Elle part pour cela de sa constante colère mais aussi du sentiment qu’éprouve l’héroïne à ne pas trouver naturellement sa place dans la société. En faisant la navette entre son quartier pauvre et noir et un monde blanc privilégié à l’école, la jeune fille doit changer constamment de code, de façon de parler pour ne pas se voir coller l’étiquette de la fille du ghetto ou de la femme noire en colère. « Je pense que beaucoup d’Afro-Américains peuvent comprendre et ressentir cela », dit-elle. Angie Thomas a été la première étudiante noire à se diplômer en écriture créative à la Jackson’s Belhaven University.

Mais c’est avant tout Tupac Shakur, son rappeur préféré, que l’écrivaine cite comme « énorme référence ». Le titre du livre reprend Thug Life, nom de son groupe formé en 1993 et célèbre tatouage qui barrait les abdominaux de l’artiste tué dans une fusillade en 1996. Si l’expression se traduit littéralement par « vie de voyou », elle représentait pour Tupac, fils de militante Black Panther, un acronyme et les prémices d’un code de vie : The Hate U Give Little Infants Fuck Everyone, traduit dans le livre par : « Ce que la société nous fait subir quand on est gamins lui pète ensuite à la gueule ».

2pac-T.H.U.G.L.I.F.E.(The Hate U Give Little Infants Fuck Everybody).
Durée : 00:17

« J’ai essayé de faire de Starr, Seven et tous les enfants du livre des roses dans le béton », explique Angie Thomas, filant la métaphore du poème de Tupac The Rose that Grew from Concrete pour expliquer à ses lecteurs que venir de basse extraction « ne doit pas nous empêcher d’être bons et de briller ».

The Hate U Give, de Angie Thomas, traduit par Nathalie Bru, éditions Nathan, 496 pages, 17,95 €.