L’architecte Junya Ishigami. / JUNYA.ISHIGAMI+ASSOCIATES

L’architecte japonais fait disparaître les frontières entre environnement extérieur et espace intérieur. Ses projets sont exposés à la Fondation Cartier, à Paris.

Pourquoi avez-vous appelé l’exposition « Freeing Architecture » ?

Je voulais prouver l’étendue des possibles qui existent autour de la conception architecturale. D’où cette idée de titre, qui renvoie à une architecture (rendue) libre. Dans ce métier, il ne faut pas se laisser enfermer dans les conventions ni dans un style unique, ce qui arrive trop souvent. On classifie les architectes et, ce faisant, on les enferme. Nos idées doivent d’abord venir des problématiques auxquelles nous sommes confrontés.

Comment avez-vous choisi les vingt projets, réalisés, en cours ou futurs, exposés à La Fondation Cartier ?

Chaque projet montre que l’architecture ne peut plus se contenter de s’adapter à l’homme et à ses usages. Qu’elle doit aussi prendre en compte son environnement proche et celui de la planète entière, ce qui doit décupler nos réponses. Ainsi, j’ai déplacé une forêt entière au Japon pour la sauver. J’y ai reconstruit un paysage onirique entre arbres et étangs. A Moscou, j’ai creusé sous terre l’extension d’un musée pour magnifier ses fondations.

Pour l’institut de technologie de Kanagawa, au Japon, Junya Ishigami dit s’être laissé guider par « l’image d’une forêt ». / JUNYA.ISHIGAMI+ASSOCIATES/GIOVANNI EMILIO GALANELLO

Vos constructions sont présentées sous la forme de grandes maquettes : Est-ce votre processus de réflexion habituel ?

Réaliser des maquettes est un point fondamental de mon travail. Je peux en fabriquer des dizaines pour un seul projet. Cette phase de test permet de passer du stade d’une idée à la naissance d’un projet. On entrevoit alors sa faisabilité. A la Fondation Cartier, une des maquettes mesure six mètres de haut. Elle représente une chapelle en Chine dont l’entrée fait en réalité quarante-cinq mètres de haut. Pour l’exposition, nous avons fait appel à un maquettiste, mais d’habitude nous fabriquons tout nous-mêmes au sein du studio, très souvent à la main.

Quand on observe la maquette de l’Institut de technologie de Kanagawa, construit en 2008, on se dit que ce bâtiment à l’apparente fragilité défie les règles de l’architecture…

Pour certains architectes, les matériaux aident juste à soutenir la structure extérieure d’une construction. Je pense pour ma part qu’ils peuvent faire corps avec le bâtiment. J’aime les frontières spatiales ambiguës, qui ne sont pas définies par des murs.

« Nous restons influencés par la culture traditionnelle japonaise. Et, à ce titre, la simplicité nous caractérise toujours. »

A Kanagawa, c’est l’image d’une forêt qui m’a guidé pour disséminer les 305 fines colonnes qui supportent le toit. A l’inverse, dans le parc de Vijversburg aux Pays-Bas, j’ai construit une structure en verre transparent dont la seule courbure soutient le toit. Celle-ci se fond dans le paysage car il n’y a plus de frontières matérielles apparentes.

Poésie, finesse et vulnérabilité sont des termes souvent associés à votre architecture, Vous conviennent-ils ?

Certaines fois seulement. J’aime aussi travailler des matériaux lourds et massifs. C’est le cas en ce moment pour une résidence de vacances à Dali (Chine) en cours de construction. Nous avons utilisé de grosses roches mégalithiques de la région pour porter un gigantesque toit de 300 mètres de long et faire ainsi entrer le paysage naturel au sein même de la résidence. C’est aussi une manière de capturer la mémoire d’une nature toujours en mouvement.

La France aime l’architecture japonaise : Sou Fujimoto, par exemple, y multiplie les projets, une tour de logements à Montpellier, un bâtiment sur le campus de Paris-Saclay… Qu’est-ce qui fait la particularité de votre génération ?

« Dans le parc de Vijversburg aux Pays-Bas, j’ai construit une structure en verre transparent dont la seule courbure soutient le toit », explique l’architecte japonais. / JUNYA.ISHIGAMI+ASSOCIATES/GIOVANNI EMILIO GALANELLO

Nous restons influencés par la culture traditionnelle japonaise. Et, à ce titre, la simplicité nous caractérise toujours. Néanmoins, si j’ai le sentiment que notre génération est très influencée par la nature et par l’enfance, aucune tendance architecturale particulière ne nous définit à ce jour.

« Freeing architecture », de Junya Ishigami, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, bd Raspail, Paris 14e. Jusqu’au 10 juin. www.fondationcartier.com