Edouard Philippe a présenté, mercredi 4 avril, les grandes lignes de la réforme institutionnelle souhaitée par le gouvernement. Le premier ministre a notamment annoncé la réduction de 30 % du nombre de députés et sénateurs ; l’élection de 15 % des députés à la proportionnelle aux prochaines législatives de 2022 ; l’interdiction du cumul des mandats dans le temps (pas plus de trois mandats identiques pour les élus, sauf pour les maires des communes de moins de 9 000 habitants).

Alexandre Lemarié, journaliste au service politique du Monde, a répondu à vos questions sur cette réforme qui divise les partis politiques.

Roger : Est-ce que le choix de 15 % de proportionnelle est une défaite pour François Bayrou ? Va-t-il toujours rester dans la majorité ?

Effectivement, le choix du gouvernement d’instaurer une dose de proportionnelle à hauteur de 15 % est une défaite pour François Bayrou. Allié de M. Macron, le président du MoDem, faisait pression en coulisses auprès du chef de l’Etat ces dernières semaines pour que la dose de proportionnelle s’établisse « entre 20 % et 25 % minimum ». « Autrement, cela veut dire que l’on ne changerait rien », avait-il averti dans Le Monde récemment.

La décision finale du gouvernement, qui lui est défavorable, fait de François Bayrou le perdant des arbitrages annoncés hier. En optant pour une dose de 15 %, l’exécutif a préféré ne pas froisser le président (LR) du Sénat, Gérard Larcher, qui militait pour une dose de 10 %, plutôt que de donner gain de cause au président du MoDem. Ce choix peut avoir des conséquences politiques, en nuisant à la bonne entente entre les deux formations de la majorité (LRM et le MoDem).

M. Bayrou a d’ailleurs exprimé son mécontentement avec des mots choisis, mercredi soir, en estimant que « ce projet de réforme est un point de départ et non un point d’arrivée ». Autrement dit, il espère que l’examen du texte au Parlement permettra de rehausser la dose de proportionnelle. « Il y a des choses substantielles à améliorer pour que le texte définitif rétablisse l’équilibre qu’Emmanuel Macron avait proposé aux Français pendant la campagne présidentielle », a-t-il souligné, pour rappeler que l’introduction d’une dose de proportionnelle était un des piliers de son alliance avec le candidat Macron pendant la campagne présidentielle. Une manière de rappeler l’actuel chef de l’Etat à ses engagements passés…

Etienne : Comment peut-on être mieux représenté avec moins de représentants ? N’est ce pas une perte démocratique pour les Français ?

L’opposition affirme que ce serait un recul démocratique et que les territoires risquent d’être moins bien représentés avec la baisse du nombre de parlementaires et l’introduction de la proportionnelle. Le gouvernement, lui, affirme le contraire, en assurant que les parlementaires auront plus de pouvoir car davantage de moyens pour exercer leur mandat. Notamment pour évaluer et contrôler l’action du gouvernement.

Autre argument avancé : avec la fin du cumul des mandats, les parlementaires ont davantage de temps. Ils peuvent ainsi se consacrer à l’exercice de leur mandat à plein-temps. En sachant qu’ils doivent à la fois voter la loi et travailler les textes en commission à l’Assemblée, à Paris, et rendre compte à leurs électeurs dans leur circonscription…

Geoff : Comment nous situons-nous en nombre de parlementaires en comparaison avec les grands pays européens ?

Comme l’ont montré Les Décodeurs du Monde.fr, avec la réforme proposée par le gouvernement, la France serait l’un des pays d’Europe qui compterait alors le plus d’habitants pour un député.

Si l’on n’étudie que les députés, seule la Russie en compterait moins par habitant que la France parmi 43 pays étudiés. Et si l’on regarde les parlementaires dans leur ensemble, seule l’Allemagne conserverait un nombre de parlementaires supérieur à la France en proportion de son nombre d’habitants.

Fredodu93 : Pourquoi les parlementaires de droite sont contre cette réforme ? Ne sont-ils pas censés être au service de l’Etat ? Vu le prix que coûte un parlementaire, leur réduction paraît légitime.

Que ce soit à l’Assemblée, comme au Sénat, la droite est opposée à cette réforme pour une raison majeure : Les Républicains craignent que la réduction de 30 % du nombre de parlementaires et l’introduction d’une dose de proportionnelle entraîne une sous-représentation des territoires. Leur calcul est simple : s’il y a 404 députés à l’avenir (contre 577 aujourd’hui), dont 61 à la proportionnelle, cela va diminuer mécaniquement le nombre de députés par circonscription. Et donc un député représentera un territoire plus grand et davantage d’habitants, ce qui, selon la droite, va entraîner « une déconnexion des élus » avec le territoire qu’ils représenteront. Idem pour les sénateurs, qui passeront à 244 (contre 348 actuellement).

L’autre sujet qui froisse beaucoup la droite est l’introduction d’une dose de proportionnelle à hauteur de 15 % : historiquement, la droite a toujours défendu le scrutin majoritaire, hérité de la Ve République. C’est son héritage gaulliste.

Ultime raison, plus par calcul politique : la droite ne veut pas faire un cadeau politique à Emmanuel Macron, en le laissant s’attribuer tout le mérite politique d’une grande réforme des institutions, sans même lui mettre des bâtons dans les roues. Cette ligne dure est poussée par le patron de LR, Laurent Wauquiez, celui des députés LR, Christian Jacob, et des sénateurs LR, Bruno Retailleau. Ils poussent Gérard Larcher à ne pas lâcher face à Macron.

CD : Le projet me paraît équilibré. Bruno Retailleau, sur Europe 1, me semblait ramer un peu. 15 % de proportionnelle, c’est bien et cela ne change pas les majorités. Mais Les Républicains peuvent-ils bloquer les votes ?

Le soutien du Sénat – majoritairement à droite – à cette réforme est essentiel pour le gouvernement. Pour une raison simple : toute réforme de la Constitution doit être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées puis obtenir une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au Parlement réuni en Congrès à Versailles.

La droite disposant d’une large majorité au Sénat, elle peut bloquer la révision de la Constitution voulue par Macron. Pour contourner le Sénat, l’exécutif pourrait organiser un référendum, afin de faire trancher directement les Français. Mais cette arme politique n’est pas sans risque car les Français pourraient être tentés de voter en fonction du contexte politique et non de la question posée.

Voudraissavoir : Quels sont les autres thèmes de cette réforme, exceptés les homéopathiques changements concernant le nombre de parlementaires et la proportionnelle ?

En dehors des trois mesures phares (réduction de 30 % du nombre de parlementaire, proportionnelle à hauteur de 15 % et limitation à trois du cumul des mandats dans le temps, sauf pour les maires des communes de moins de 9 000 habitants), les autres mesures, plus consensuelles, sont entre autres : la disparition du statut de membre de droit du Conseil constitutionnel pour les anciens chefs de l’Etat, une transformation du Conseil économique, social et environnemental ou la suppression de la Cour de justice de la République. La spécificité Corse sera également inscrite dans la Constitution, tout comme « l’impératif de la lutte contre le changement climatique » ou le droit à la différenciation territoriale dans le cadre d’un « pacte girondin » avec les collectivités locales.