Editorial du « Monde ». En dévoilant, mercredi 4 avril, les grandes lignes de la réforme des institutions voulue par le président de la République, le premier ministre, Edouard Philippe, a donné le coup d’envoi d’une course d’obstacles complexe dont le résultat apparaît, à ce stade, très incertain. Lorsqu’il avait ouvert ce chantier, le 3 juillet 2017, devant le Congrès réuni à Versailles, Emmanuel Macron avait fixé un objectif ambitieux : des institutions modernisées, plus efficaces et plus représentatives de la diversité politique du pays. Les longues tractations préalables engagées ces derniers mois, notamment avec le président du Sénat, lui ont permis de mesurer la difficulté de l’exercice.

Tout d’abord, cette réforme comporte des dispositions nombreuses et de nature fort différentes. Les unes font l’objet d’un large consensus : suppression de la Cour de justice de la République, réforme du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil économique, social et environnemental, suppression du privilège accordé aux anciens présidents de la République de siéger de droit au Conseil constitutionnel. A quoi l’on peut ajouter l’élargissement du droit à l’expérimentation réglementaire accordé aux collectivités locales.

Les autres, en revanche, sont plus spectaculaires, mais beaucoup plus controversées. Elles prévoient la réduction de 30 % du nombre de députés et de sénateurs, l’introduction d’une dose de représentation proportionnelle aux élections législatives pour 15 % des sièges de députés à pourvoir, enfin l’interdiction du cumul des mandats dans le temps (trois mandats consécutifs maximum), sauf pour les maires des communes de moins de 9 000 habitants, ce qui en réduit fortement la portée. Tout aussi épineuse sera l’inscription de la Corse dans la Constitution, promise par le chef de l’Etat, mais dès à présent jugée abusivement restrictive par les élus insulaires.

Critiques virulentes

Le gymkhana procédural de cette réforme n’est pas moins accidenté. Bon nombre de ces mesures nécessitent une révision de la Constitution, laquelle suppose avant son adoption le vote conforme des deux assemblées, donc l’accord du Sénat. La réduction du nombre de parlementaires et la question du cumul des mandats relèvent de la Loi organique et supposent, là encore, l’accord du Sénat, puisqu’il est concerné. Quant à la modification du mode de scrutin législatif, elle relève de la loi ordinaire, pour laquelle la majorité présidentielle a le dernier mot à l’Assemblée.

Enfin, la bataille politique va être intense, comme l’ont immédiatement démontré les critiques virulentes qui, à droite comme à gauche, ont accueilli les premiers arbitrages. Nul doute qu’elles redoubleront quand on entrera dans le détail précis des mesures, en particulier les modalités d’application de la dose de proportionnelle (fort inoffensive en réalité, mais hautement symbolique) et le profond redécoupage des circonscriptions législatives et sénatoriales, rendu indispensable par la réduction du nombre de parlementaires.

Certes, le pouvoir exécutif sait que les aspects les plus emblématiques de cette réforme sont plébiscités par l’opinion. Mais, sauf à utiliser l’arme périlleuse du référendum, il devra en passer, pour l’essentiel, par un vote conforme des deux assemblées. Or, l’on doute fort que les quelques concessions dès à présent accordées au président du Sénat suffisent à convaincre la droite, majoritaire au Palais du Luxembourg, de faire à Emmanuel Macron le cadeau d’un tel succès politique. Cette bataille ne fait que commencer.