C’est dans une atmosphère de discorde que la mission parlementaire ad hoc a rendu, jeudi 5 avril, son rapport sur l’utilisation des produits phytosanitaires. Les élus planchaient sur ce texte depuis l’automne 2017 ; il est destiné à inspirer les projets du gouvernement en matière de pesticides. Mais le 29 mars, lors de la finalisation du texte, la députée Delphine Batho (PS, Deux-Sèvres) a démissionné de la vice-présidence de la mission. « Je ne peux endosser un rapport qui n’est pas du tout à la hauteur des enjeux de santé et d’environnement posés par l’usage des pesticides », explique-t-elle au Monde.

Le rapport dresse pourtant un constat tranché des effets sanitaires et environnementaux des produits phytosanitaires en général. Citant l’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), la mission relève « des associations entre l’exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies, comme la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et des cancers hématopoïétiques (lymphome non-hodgkinien, myélomes multiples) ». Des risques existent aussi pour le développement de l’enfant lorsque les expositions à certaines de ces substances surviennent au cours des périodes prénatale, périnatale et lors de la petite enfance, ajoutent les parlementaires.

« Dégâts d’une ampleur alarmante »

Sur le front environnemental, le constat est plus sombre. La mission constate « une pollution presque générale de l’air et des eaux », note que « la contamination des sols touchés est entretenue par des traitements massifs et répétés, et produit des effets à long terme ». « Plusieurs études récentes montrent, sans doute possible, les dégâts que leur large utilisation a occasionnés, ajoutent les parlementaires. Les plus visibles sont d’une ampleur alarmante : plus de 75 % de la biomasse des insectes a disparu en vingt-sept ans. »

La mission note leur « quasi-disparition à certains endroits », créant « des ruptures en cascades dans les chaînes alimentaires », menaçant ainsi d’autres espèces à l’extinction. « A commencer par les oiseaux, victimes directes ou indirectes des pesticides, dont la population a diminué de 30 % en à peine quinze ans », précise le rapport.

Le problème touche également les sols dont la « richesse productive se dégrade » et les insectes pollinisateurs dont les populations sont « en déclin rapide » au point que « la communauté scientifique mondiale vient de lancer l’alerte », précise la mission en référence aux expertises de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), rendues courant mars.

Fermeté factice

Face à ces constats, la mission propose une liste de trente-cinq recommandations, relevant essentiellement de la conduite de nouvelles études sur les effets de ces produits, de la gestion des risques liés à leur usage, ou encore de la promotion de systèmes agricoles moins consommateurs d’intrants chimiques. La mission soutient ainsi l’idée d’un fonds d’indemnisation des victimes des pesticides – tout en reconnaissant que la causalité est toujours délicate à établir.

« Tout cela est très insuffisant par rapport à l’accélération des effets que l’on constate actuellement, en particulier sur la biodiversité et qui sont pourtant clairement décrits dans le texte, dit Delphine Batho, la vice-présidente démissionnaire de la mission. Il se situe dans la continuité des politiques menées jusqu’à présent qui ont toutes échoué à obtenir la moindre baisse du recours aux pesticides. »

La seule mesure d’interdiction préconisée par la mission concerne ainsi les utilisations du glyphosate comme dessiccant – c’est-à-dire directement sur certaines céréales, afin d’en hâter la maturation et donc la récolte. Les associations de défense de l’environnement dénoncent une fermeté factice, l’utilisation du glyphosate comme dessiccant n’étant pas, ou très peu, pratiquée en France… Fin 2017, Emmanuel Macron avait annoncé que la France sortirait du glyphosate en trois ans, mais l’annonce avait été tempérée par Nicolas Hulot : le ministre de la transition écologique et solidaire a laissé entendre, en février, que des dérogations pourraient être octroyées.

La FNSEA satisfaite

« Le rapport est hors des clous de la feuille de route du gouvernement, qui est elle-même insuffisante, tempête Mme Batho. Il est parfois aussi en deçà du récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, qui recommandait par exemple l’interdiction de certaines substances parmi les plus problématiques, alors que la mission ne recommande sur ces mêmes produits que la conduite de nouvelles études. »

De son côté, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) est satisfaite du texte. « Nous sommes conscients des attentes du consommateur et nous essayons d’y répondre, mais il faut développer les solutions avant de recourir à des interdictions, explique Eric Thirouin, le secrétaire général adjoint du syndicat agricole. Il nous semble que c’est l’esprit de ce rapport et que c’est le meilleur moyen de répondre, en fin de compte, aux demandes de la société. Nous pouvons cependant avoir quelques réserves, notamment sur la proposition d’un label “zéro pesticides” [sans pesticides de synthèse] puisqu’il existe déjà un label Agriculture biologique. »

Stéphane Foucart

  • Le gouvernement veut accélérer la conversion au bio Le gouvernement va engager 1,1 milliard d’euros de crédits vers les agriculteurs qui font le pari du bio, pour répondre à l’explosion de la demande. La mesure, annoncée le 5 avril par le ministre de l’agriculture Stéphane Travert, réjouit les agriculteurs bio mais laisse les ONG sur leur faim. Cette enveloppe représente, selon le cabinet du ministre, une augmentation de 62 % par rapport au précédent plan de soutien à la production bio, et doit permettre de faire passer de 6,5 % à 15 % les terres cultivées en bio d’ici à la fin du quinquennat. Cette enveloppe – financée sur fonds européens, est destinée aux aides à la conversion et non au maintien de l’activité. Les ONG regrette que l’Etat ait mis fin à son aide au maintien de l’activité des agriculteurs ayant déjà opéré leur conversion vers l’agriculture biologique. – (AFP.)