Jacques Higelin au Printemps de Bourges, le 3 avril 1984. / DANIEL JANIN/AFP

Jacques Higelin est mort, vendredi 6 avril, à Paris, à l’âge de 77 ans, laissant derrière lui une vingtaine d’albums qui ont marqué la chanson française, et des tubes comme Pars, Champagne ou Tombé du ciel. Notre journaliste Yann Plougastel a répondu à vos questions sur ce chanteur hors norme.

Eddie Van Halen : Bonjour, j’ai 26 ans et avoue ne pas bien connaître Jacques Higelin, est-ce le même type de rock français que Johnny Halliday (c’est-à-dire une francisation de musiques anglo-saxonnes à destination d’un public exclusivement francophone) ou cela va-t-il un peu plus loin ?

Pas vraiment, cher Eddie. A cause des paroles largement plus foutraques et lyriques. Mais aussi de la musique, qui n’était pas une adaptation bête et méchante du gros rock américain, mais une sorte de transposition électrique d’une tradition française issue de Brassens, Trenet, Barbara, dont il était d’ailleurs très proche.

De Martinique : J’ai eu la chance de le voir seul sur scène avec son piano. J’étais gamin, 14-15 ans. J’en ai 53 aujourd’hui et je me souviens encore. Son énergie, sa joie exaltée. Il rayonnait et nous emmenait tous ensemble dans ses nuages. Quel fabuleux voyage ! J’aimerais savoir à quand remonte son dernier album ? N’avait-il pas des difficultés à se produire ces dernières années ? Et si oui, pourquoi ?

Son dernier album, Higelin 75, remonte à 2016. Il ressemble aux longues improvisations enfiévrées de ses débuts. Depuis 2014, il n’était pas remonté sur scène. D’abord à cause de problèmes d’audition, puis une profonde fatigue, qui l’empêchait de sortir.

Annie : Savez-vous quelles sont les causes de sa mort ? J’ai entendu qu’il était malade…

Il était malade depuis le mois de juin 2017 et hospitalisé, mais je ne connais pas la nature de sa maladie, qui le handicapait fortement.

Marion : Savez-vous où et quand auront lieu les obsèques, et s’il est possible d’y assister ? Merci.

Daniel Colling, son manager, a fait savoir qu’elles auraient lieu au Père-Lachaise la semaine prochaine, mais nous n’en savons pas plus à l’heure actuelle.

Champagne : J’ai de grands souvenirs de concert avec Jacques Higelin… Etaient-ils aussi improvisés qu’ils en avaient l’air ?

Il y avait effectivement une grande part d’improvisation. Higelin adorait les accidents, les surprises au milieu d’une chanson. Il était capable de rebondir sur une phrase lancée par un spectateur, mais il s’appuyait sur ses chansons déjà écrites. Parfois, sur scène, ses musiciens avaient du mal à le suivre.

En images : Jacques Higelin, une vie de musique et d’engagement

Nicolas : Il avait, sur disque et en concert surtout, beaucoup mis en avant ses excellents musiciens. Qui non seulement étaient bons, mais savaient le suivre dans ses délires et improvisations folles. Qui étaient ces merveilleux accompagnateurs et accompagnatrices ? Des réguliers ? Avait-il des musiciennes et musiciens « habituels » avec lesquels il composait, ou qu’il retrouvait en concert ?

Il y a eu de nombreux musiciens qui ont su l’accompagner dans ses délires. Areski, bien sûr, rencontré à l’armée pendant la guerre d’Algérie. Puis Simon Boissezon, un guitariste qui l’a amené au rock. Il faut également citer l’immense Manu, son percussionniste, qui mieux que personne savait entrer dans son monde. Rodolphe Burger, le leader de Kat Onoma, l’a aidé à enregistrer ses derniers disques.

Johnny : Quelles ont été ses influences artistiques ?

Il a commencé par chanter du Maurice Chevalier dans les cinémas de banlieue. Mais c’est surtout Charles Trenet qui l’a influencé. Grâce à lui, il a découvert le swing et le jazz. Il s’est mis à écouter Billie Holiday et les chanteurs de blues… Ensuite le guitariste Henri Crolla l’a ouvert au jazz manouche et lui a appris à jouer de la guitare. Après une période très rive gauche, il s’est mis à des morceaux plus déstructurés, grâce à la fréquentation de Pierre Barouh et de son label Saravah, où il a rencontré l’Art Ensemble of Chicago et d’autres musiciens de free jazz.

pesto : Quel est son meilleur album studio ?

Champagne pour tout le monde et Caviar pour les autres, en 1979, parce que les textes sont d’une élégance folle et les mélodies d’une légèreté enivrante. Beau repaire, en 2013, à mon avis, car il renoue avec le Trenet bondissant de ses débuts. Avec un faible pour Tombé du ciel, en 1988 qui, lui aussi, joue sur l’espièglerie.

Eau : Que pensez-vous de sa collaboration avec Areski et Brigitte Fontaine ?

Ce fut une rencontre essentielle pour lui. Il a fait son service militaire avec Areski et ils ont joué dans la même fanfare. Il se sont ensuite retrouvés dans les cafés-théâtres du Quartier latin à improviser à la Vieille Grille, par exemple, des spectacles sans fin, totalement déconnant.

Ensuite, il a chanté avec Brigitte Fontaine, la compagne d’Areski, des ballades faussement romantiques, qu’il faut écouter au second degré. La folie de Brigitte Fontaine correspondait à ses propres embardées. Ils étaient vraiment complices.

Merci de ce chat émouvant : Avez-vous rencontré Jacques Higelin, et si oui, quel souvenir gardez-vous de l’homme ?

Je l’ai rencontré à de nombreuses reprises. Je le connais depuis 1970, sans doute. Je l’ai d’abord vu sur scène comme beaucoup. Ensuite, je l’ai mieux connu grâce à Nicole, la mère d’Arthur, qui appartenait à la même organisation d’extrême gauche que moi. Nous avons fait des manifs ensemble, où il animait une sorte de fanfare. Je l’ai ensuite interviewé de multiples fois. J’ai plein d’anecdotes, mais là, c’est un peu difficile de tout raconter. C’était une époque plus facile, où tout le monde se rencontrait facilement. En dessous de là où j’habitais, il y avait une partie du groupe Téléphone. D’où des fêtes incroyables avec Jacques ou Dick Annegarn, par exemple.

La dernière fois que je l’ai vu en tête à tête, c’était chez lui à Pantin pendant tout un après-midi. Il neigeait. Nous ne nous étions pas revus depuis quelques années. Je suis parti quand il était au téléphone, pour ne pas le déranger. Il m’a rattrapé dans la rue, m’a embrassé et m’a dit : « Il ne faut plus qu’on laisse passer autant de temps. » Nous avions plein d’amis en commun. Paul, son frère. Et Anne-Marie Paquotte, une journaliste de Télérama, qui est morte voici quelques années et sur qui il avait écrit un hommage bouleversant.

Gustave : A-t-il déjà collaboré musicalement avec ses enfants Arthur et/ou Izia ?

Il a écrit plusieurs chansons sur Izia. Il l’a toujours soutenue. Je me souviens d’avoir vu Jacques à un concert au Bataclan d’Izia. Il était planqué au balcon. Quand le public l’a reconnu et l’a applaudi, il s’est retiré dans l’ombre, en montrant la scène et sa fille. Il était épaté par elle. Ils ont souvent chanté ensemble sur scène.

Même chose pour Arthur, bien sûr.

Jacques Higelin avec ses enfants également musiciens, Izia et Arthur H, en mars 2010. / OLIVIER LABAN-MATTEI/AFP

James : A-t-il été source d’inspiration pour différents artistes ?

Sa liberté et sa façon d’être sur scène ont façonné plus qu’une génération de chanteurs et chanteuses. Cali, sans doute, Téléphone aussi… Par sa façon de mettre le rock dans la chanson française en faisant exploser les carcans de la chanson rive gauche. Il a torpillé les rimes faciles en y mettant des beats en béton armé. Sa poésie loufdingue et surréaliste est dans la continuité d’un Trenet, à partir de là, il a ouvert le champ aux autres…

Monalisa : A votre avis, quel serait son héritier aujourd’hui ?

A mon avis, il n’y en a pas, malheureusement. Peut-être Jeanne Cherhal dans un registre un peu différent. Et son fils Arthur H, bien sûr, qui a eu le talent de se faire son propre univers.