Marion Haerty à Fieberbrunn Kitzbüheler Alpen, en 2016. / Freeride World Tour/Mia Maria Knoll

L’Xtreme de Verbier (Suisse), le Graal pour tout freerideur. Le 2 avril, c’est au bas des pentes enneigées du redouté bec des Rosses que la snowboardeuse Marion Haerty est montée sur la plus haute marche du podium de cette compétition historique, la dernière des cinq étapes du Freeride World Tour (FWT), seul circuit international de la discipline. « Elle est souriante, belle à voir rider, courageuse », confiait au Monde, quelques jours avant l’épreuve, Nicolas Hale-Woods, fondateur de l’Xtreme en 1996 puis du FWT en 2008. Et c’est certainement grâce à ces qualités, alliées à une solide technique héritée de son passé de freestyleuse, que la jeune femme de 26 ans est sacrée vice-championne du monde, après avoir été tenante du titre en 2017.

« Après avoir vu rider Marion, avec de superbes lignes, rapides, avec des sauts et du style, j’ai pensé qu’elle avait sa place sur le Tour »
Berti Denervaud, directeur des sports du FWT

Le freeride, la Chamroussienne ne s’y consacre à plein-temps que depuis trois ans, après être passée par les disciplines comme le snowboardcross, le half-pipe, ou encore le slopestyle. « Déjà avant les Jeux [elle a tenté de se qualifier en slopestyle pour les JO d’hiver 2014 à Sotchi, en Russie], j’avais envie de m’y mettre. J’avais un coach qui m’emmenait en montagne. Malheureusement, il est décédé [des suites d’une chute dans le massif des Dents-du-Midi en Suisse, le 3 mai 2013]. Ça m’a un peu refroidie. Et puis tu grandis, tu fais la paix avec ce genre de chose… » Alors quand, en 2016, on lui propose une wild-card pour le Freeride World Tour, elle n’hésite pas. « Une snowboardeuse s’était blessée juste avant la saison, se souvient Berti Denervaud, directeur des sports du FWT. Après avoir vu rider Marion à la Verbier Week [festival d’une semaine célébrant le freeride, avec trois compétitions au programme] et gagner les trois événements avec de superbes lignes, rapides, avec des sauts et du style, j’ai pensé qu’elle avait sa place sur le Tour. »

Pour tout savoir sur la discipline : Le freeride ou la liberté de glisser

« Les freerideurs ne sont pas des fous ! »

« Tout a commencé comme ça », confirme Marion. Et, au même moment, a débuté son apprentissage. « Moi, je viens du freestyle, je faisais des sauts dans les snowparks, confesse la jeune femme. Je suis venue au freeride grâce au Tour, pas parce que j’habitais Chamonix ou La Grave. Alors, j’ai beaucoup à apprendre sur la montagne la météo, la neige, le vent. » Les risques d’avalanche aussi. Histoire de « laisser le moins de chances à Mère Nature ». « Notre but n’est pas de nous lancer dans les pentes n’importe comment. On n’est pas des fous !, s’exclame-t-elle. Il y a tout plein de choses à analyser, sur la nature en général. On prend des risques qui nous font vibrer, c’est clair, mais ce n’est pas pour autant qu’on est des fous ! »

Marion Haerty en phase de reconnaissance de la face à Fieberbrunn Kitzbüheler Alpen (Autriche), en 2016. / Freeride World Tour/J. Bernard

Autant pour cette vilaine réputation de trompe-la-mort que les freerideurs traînent auprès du grand public et des médias. « C’est un peu fatigant, regrette-t-elle. Même si j’ai conscience que ce qu’on fait soit difficile à comprendre de l’extérieur… Ce serait bien qu’on ne parle pas de nous que quand il y a un décès… Et moi, je me sens plus en sécurité en montagne que quand je me balade dans le centre-ville à Paris. » Et elle semble être comme un poisson dans l’eau au sein de cette « grande famille » du FWT. « Quand je suis arrivée sur le Tour, j’ai adoré la solidarité entre les rideurs, le respect mutuel, l’entraide. » « Je pense que c’est dû au fait qu’on soit dans la montagne. » Un milieu hostile qui force l’humilité.

« Comme un Pikachu qui déploie sa foudre »

Marion, elle, est humble jusque dans sa façon de parler de sa rapide ascension dans la discipline, et même de son titre. « Ça me fait plaisir d’avoir cette reconnaissance, mais il y a plein de rideurs qui mériteraient de remporter un titre. » De toute façon, plus que « la couleur de la médaille, c’est le fait d’avoir réussi à [me] dépasser à 300 % en faisant ce [qu’elle] aime qui [la] fait vibrer ». Ça et l’adrénaline, à laquelle elle avoue être accro : « C’est tellement intense, c’est toute mon énergie concentrée qui explose d’un coup, comme un Pikachu qui déploie sa foudre. »

Et de poursuivre : « Pour me sentir vivre, j’ai besoin de repousser mes limites. » Toujours en quête du run parfait, elle est exigeante envers elle-même.

« Je ne serai fière de moi que quand j’aurai réussi à faire exactement ce que je veux sur mes runs. J’ai envie d’essayer d’utiliser mon bagage de freestyleuse. Dans l’idéal, j’aimerais faire un backflip, sauter une grosse barre de 10 m et après enchaîner une double barre. »

Ce qui pourrait aussi éventuellement faire cesser les réflexions du type « tu rides comme une fille » ? « C’est rare, mais ça arrive encore parfois », admet-elle. Sur le bec des Rosses, les hommes s’élancent de plus haut que les femmes. Sans pour autant contester cette différence, elle avoue : « J’aimerais bien un jour rider le “bec des hommes”. »

Marion Haerty à l’Xtreme de Vierbier (Suisse), en 2017. / Freeride World Tour/J. Bernard

Marion Haerty confie qu’elle ride encore un peu en retenue, même si elle est consciente d’avoir « les compétences ». Elle confesse un peu d’appréhension : « Peur de tomber, de faire n’importe quoi, de me faire mal », et un reste de manque de confiance en soi qu’elle travaille à éradiquer. « C’est normal, c’est un sport qui est encore nouveau pour moi », explique-t-elle. Dans le milieu, on la sait capable de progresser encore. « C’est une très bonne snowboardeuse intelligente et bosseuse, commente Xavier de Le Rue, snowboardeur lui aussi, qui a marqué l’histoire de l’Xtreme de Verbier. Il faudrait juste qu’elle laisse aller. Je pense qu’elle réfléchit un peu trop. Mais ça va venir avec le temps. » Pour le patron du Tour Nicolas Hale-Woods, il ne fait aucun doute que Marion est « un moteur de progression pour le freeride féminin ». « C’est quelqu’un de pro. Elle est passée par des moments difficiles, comme nous tous, avec la disparition d’Estelle Balet [emportée par une avalanche le 19 avril 2016]. Je pense qu’elle a été plus affectée que d’autres et qu’elle n’était pas loin de tout arrêter, mais elle a été forte, c’est quelqu’un de pro. Pour une organisation, c’est génial d’avoir des athlètes comme ça, positifs pour le développement du sport. »

« Le snow est toujours vu comme un sport de rebelles »

Quand est abordé le développement du snowboard en France, elle déplore que la discipline soit dirigée par des skieurs. Elle s’empresse de préciser : « Je n’ai rien contre les skieurs ! C’est juste que le snow est toujours vu comme un sport de rebelles et qu’on n’est pas aidés financièrement. Et il y a trop peu de structures, contrairement au Canada, aux Etats-Unis ou en Suisse. » Quid de l’enseignement ? « Ici, on n’a pas de monitorat de snowboard, ce qui ne nous aide pas à nous développer. Heureusement qu’il y a des clubs comme le mien, à Chamrousse, qui essaient de faire de jolies choses ! »

La snowboardeuse Marion Haerty, championne du monde 2017, remporte l’Xtreme de Verbier (Suisse), cinquième et dernière étape du Freeride World Tour 2018. Elle termine vice-championne du monde. / Freeride World Tour/D. Daher

Assurément, la jeune femme aime son métier, mais pas seulement. « La vie est si courte ! C’est dommage de se laisser enfermer dans une seule activité… » Un peu de guitare, du parapente, du surf… Ce qui laisse peu de temps pour tout le reste. « J’écrivais aussi des articles, mais j’ai arrêté, je n’arrivais plus à tout faire. » Jusqu’à ce qu’elle commence à remporter des compétitions, l’été était aussi consacré à travailler. « Quand on gagne, on peut un peu vivre du freeride. Mais heureusement que j’ai la chance d’avoir mes parents, qui me logent encore un peu. De toute façon, avec mes études, ça devient compliqué de travailler. »

Maintenant que l’édition 2018 du Freeride World Tour s’est achevée, Marion Haerty veut se concentrer sur son master « entreprenariat et commerce ». « Au cas où le snowboard s’arrête un jour », même si, elle insiste encore une fois, « on n’est pas là pour s’abîmer, on a envie d’utiliser notre corps jusqu’à 80 ans ».

Winning run Marion Haerty - FWT18 Xtreme Verbier Switzerland
Durée : 02:23