Après avoir vendu son savoir-faire à Abou Dhabi pour la construction du Louvre des sables, la France s’apprête à signer, mardi 10 avril, un accord de dix ans avec l’Arabie saoudite pour le développement du site archéologique d’Al-Ula. L’annonce sera faite au cours de la visite en France du prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman.

Cette zone désertique située à 1 h 30 de Riyad, vaste comme la Belgique, compte des paysages d’une grande variété, des parois de roches volcaniques noires et des canyons ocre-rouge, des étendues de sable blanc et des palmeraies. Et abrite surtout des ruines nabatéennes à coupler le souffle, comparables à celles de Petra, en Jordanie. Un chantier chiffré entre 50 et 100 milliards d’euros, dont une part à négocier tombera dans les caisses de l’Etat français.

Tout commence à l’été 2017 quand le prince héritier met en place une commission royale pour le site d’Al-Ula. A sa tête, l’un de ses proches, le prince Badr Bin Abdullah Bin Mohamed, celui-là même qui, selon le New York Times se serait porté acquéreur du Salvator Mundi, attribué à Léonard de Vinci et destiné à enrichir la collection du Louvre Abou Dhabi. Egalement mobilisé : le très tonique Amr Al-Madani, CEO au profil très anglo-saxon. L’idée, qui s’inscrit dans la « Vision 2030 » de MBS est simple : faire de ce site un haut lieu de la culture et du tourisme, mais aussi une zone franche, vecteur de transformation sociale et économique d’un pays qui avait jusque-là gommé toutes ses racines pré-islamiques.

Les Saoudiens ont un modèle en tête : Marrakech

Le royaume wahhabite étant sans doute la dernière destination touristique au monde, MBS s’est tourné vers un pays expert en la matière, la France. Après un premier échange avec le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, Emmanuel Macron prend le relai début novembre 2017 et missionne Gérard Mestrallet, président du conseil d’administration d’Engie, pour négocier l’accord. Ce choix ne tient pas au hasard : le groupe énergétique produit entre 10 et 15 % de l’électricité de l’Arabie saoudite.

Les Saoudiens ont alors un modèle en tête : Marrakech. L’idée n’est pas seulement de valoriser le site archéologique, mais de transformer la vieille ville d’Al-Ula, aujourd’hui sinistre, en une cité touristique à la marocaine animée par des artisans et des artistes. Pour amener les Saoudiens à considérer les compétences françaises, Gérard Mestrallet a l’idée d’inviter l’équipe d’Al-Ula... aux Baux-de-Provence. Dans les Carrières de lumière, un lieu géré par Cultures espaces, filiale d’Engie, il montre la maestria de la France en matière de son et lumière. A Gordes, dans le Lubéron, il suggère aux Saoudiens de s’inspirer des règles d’urbanisme régissant les parcs naturels.

Sans attendre, Gérard Mestrallet conçoit un accord-cadre. Le premier volet est archéologique. Depuis une dizaine d’années, une équipe franco-saoudienne mène des fouilles avec peu de moyens. Pour passer la vitesse supérieure, des apports technologiques sont prévus, avec l’usage de satellites, drones et dirigeables. Deux institutions sont envisagées. Un premier musée, situé sur le site, devrait traiter de l’histoire des tombes nabatéennes et autres inscriptions visibles à Al-Ula.

Une agence présidée par Gérard Mestrallet

Un autre, plus axé sur la recherche et couplé à des chaires doctorantes dans les grandes universités françaises, portera sur la civilisation arabique. L’ensemble est ambitieux, supposé de trois fois l’envergure du Louvre Abou Dhabi. En complément, est prévu un volet lié à l’agrotourisme, ainsi que des activités sportives (trekking, vélo et promenades à cheval). Une filière du cheval arabe avec élevage, reproduction et dressage fait partie du « package ».

Afin de mettre tous ces projets en musique aussitôt après l’officialisation de l’accord, la France créera en mai une agence, abondée par des fonds saoudiens mais dont l’Etat est seul actionnaire. Présidée par Gérard Mestrallet, elle pourrait être dirigée par Didier Selles. L’ancien administrateur général du Louvre, aujourd’hui à la Cour des comptes, a négocié l’accord entre la France et les autorités émiriennes pour le Louvre Abou Dhabi.

La France espère bien que le pilotage du projet permettra aux entreprises tricolores de décrocher une part prédominante des contrats de construction des routes, infrastructures, et aéroport. D’autres accords sont aussi prévus, entre l’Arabie saoudite et Campus France, pour la formation des jeunes Saoudiens aux métiers du tourisme, de l’archéologie et de l’agriculture. L’Institut du monde arabe sera aussi associé à l’organisation en 2019 d’une exposition itinérante en France sur le thème d’Al-Ula.