Selon des bilans encore provisoires, dressés par des ONG proches de l’opposition au régime Assad, ces frappes, survenues samedi 7 avril et attribuées à l’aviation syrienne, ont fait entre une quarantaine et une cinquantaine de morts. / AP

Près d’un an après l’attaque au sarin contre la ville de Khan Cheikhoun, dans le nord de la Syrie, qui avait fait plus de 80 morts, des témoignages font état d’un nouveau bombardement à l’arme chimique de grande ampleur, contre la ville de Douma, en banlieue de Damas.

Selon des bilans encore provisoires, dressés par des ONG proches de l’opposition au régime Assad, ces frappes, survenues samedi 7 avril et attribuées à l’aviation syrienne, ont fait entre une quarantaine et une cinquantaine de morts.

Dimanche en milieu d’après midi, les autorités syriennes ont annoncé un accord pour l’évacuation des combattants de Jaych Al-Islam. Les responsables de ce groupe n’ont pour l’instant pas confirmé être prêts à quitter Douma.

Quelle est la situation à Douma ?

Douma est la dernière ville de la Ghouta orientale, une zone en périphérie de la capitale syrienne, à ne pas avoir été reconquise par les troupes gouvernementales.

Celles-ci mènent dans cette région une violente offensive, lancée mi-février, qui a causé la mort de 1 600 civils et débouché sur la reddition de milliers de rebelles, transférés, avec leurs familles, vers le nord de la Syrie.

Le groupe salafiste Jaych Al-Islam, qui contrôle Douma, a rejeté jusque-là les offres d’évacuation de la Russie, allié du régime syrien, ce qui a conduit l’armée syrienne a reprendre ses bombardements, vendredi, après une dizaine de jours d’accalmie.

Que s’est-il passé dans la nuit de vendredi à samedi ?

Selon l’ONG médicale SAMS (Syrian American Medical Society) qui compte de nombreux docteurs et infirmiers sur place, près de 500 personnes atteintes de suffocation ont afflué dans les hôpitaux de Douma, samedi, en fin de journée.

Les patients présentaient des symptômes « d’exposition à un agent chimique », selon l’organisation, comme des difficultés respiratoires, un ralentissement du rythme cardiaque et des brûlures de la cornée. « De la mousse s’échappait de leur bouche et ils dégageaient une odeur semblable à celle du chlore », affirme un communiqué de SAMS.

Que sait-on sur la nature du produit qui aurait été utilisé ?

Aucune enquête n’a pu être menée pour l’instant pour déterminer avec précision le type d’agent chimique employé dans l’attaque. Les symptômes observées sur les victimes incitent les médecins sur place à penser qu’il s’agit de chlore et de sarin.

« Ces informations, si elles sont confirmées, sont effroyables et exigent une réponse immédiate de la communauté internationale », a réagi samedi la porte parole du département d’Etat américain, Heather Nauert.

Les autorités syriennes ont fait usage à de nombreuses reprises de bombes au chlore, un produit à usage dual, ne figurant pas dans la liste des agents chimiques, dont Damas est censé s’être débarrassés depuis le bombardement au sarin de la Ghouta, en août 2013, qui a fait des centaines de mort.

Samedi, parmi les centaines de personnes qui ont afflué dans les centres médicaux de Douma, six ont décédé, selon SAMS, dont une femme atteinte de convulsions et d’un rétrécissement des pupilles, des symptômes associés à l’usage de sarin, un produit beaucoup plus létal que le chlore.

Samedi, plus tard dans la soirée, des secouristes ont découvert 42 personnes mortes dans leurs habitation. Les vidéos tournées sur place, montrant des cadavres sans blessure, figés dans leur sommeil pour certains, gisant dans un escalier ou un appartement pour d’autres, laissent supposer que leur mort a été foudroyante.

« Les symptômes rapportés indiquent que les victimes ont été asphyxiées par un produit chimique toxique, très probablement un agent organophosphoré », affirme SAMS.

Les casques blancs, une organisation de secouristes dans les zones rebelles, appuient les conclusions de SAMS, ainsi que l’UOSSM (Union des organisation de secours et de soins médicaux) et Syria Charity, une ONG humanitaire, qui dispose d’une équipe d’ambulanciers à Douma et parle de 55 morts en tout.

L’Observatoire syrien des droits de l’homme, basé à Londres, avec un réseau d’informateurs dans toute la Syrie, a assuré n’être pas en mesure de « confirmer ou démentir » ces allégations.

Que sait-on sur les stocks de produits chimiques de la Syrie ?

Le sarin fait partie de la famille des organophosphorés. Il est l’un des produits récoltés et ensuite détruits, durant le processus de démantèlement de l’arsenal chimique syrien, conduit entre 2013 et 2014, par l’ONU et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, suite à un accord russo-américain.

L’attaque de Khan Cheikhoun en 2017 a cependant démontré que le régime Assad avait délibérément sous-déclaré son stock de sarin de facon à conserver une certaine quantité de ce produit.

Comment réagit la communauté internationale ?

En 2017, dans la nuit du 6 au 7 avril, deux jours après le massacre de Khan Cheikhoun, les Etats-Unis avaient lancé une cinquantaine de missiles de croisière sur un aérodrome militaire syrien, le détruisant en partie et causant la mort de quelques soldats syriens.

Ce samedi, sur Twitter, Heather Nauert a déclaré que « la Russie, avec son soutien sans faille au régime (syrien), porte en définitive la responsabilité de ces attaques brutales », tout nouveau bombardement chimique devant être « immédiatement empêché ».

Sur Twitter, dimanche, le président américain a envoyé des signaux contradictoires. Tout en incriminant l’Iran, la Russie et « Assad l’animal » et en parlant d’un « grand prix à payer », il a appelé à « ouvrir la zone [de Douma] immédiatement à de l’aide médicale et des vérifications ».

L’Union européenne a condamné « dans les termes les plus vifs le recours aux armes chimiques » et appelé « à une réaction immédiate de la part de la communauté internationale ».

La France, par la voix du ministre des affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, s’est dite très préoccupée « devant les informations faisant état d’un nouvel usage d’armes chimiques particulièrement violentes ». « La France s’emploie activement, en liaison avec ses alliés et les organisations internationales concernées, à vérifier la réalité et la nature de ces frappes », a déclaré M. Le Drian, ajoutant que Paris demande que le conseil de sécurité des Nations Unies se réunisse dans les meilleurs délais pour examiner la situation dans la Ghouta orientale.

Mi-février, Emmanuel Macron avait déclaré : « Sur les armes chimiques, j’ai fixé une ligne rouge, je la réaffirme très clairement. Si nous avons des preuves avérées que les armes chimiques proscrites par les traités (...) sont utilisées, nous frapperons l’endroit d’où ces envois sont faits ou sont organisés. La ligne rouge sera respectée par une réplique ».

La presse officielle syrienne pour sa part a accusé les insurgés de diffuser des fausses informations pour tenter de ralentir la progression des forces gouvernementales.

L’armée russe, qui appuie l’offensive loyaliste, a elle aussi rejeté les accusations de l’opposition.

« Nous sommes prêts, une fois que Douma sera libérée, à envoyer immédiatement des spécialistes russes en défense nucléaire, chimique et biologique pour recueillir les données qui confirmeront que ces assertions sont montées de toutes pièces », a déclaré le général russe Youri Evtouchenko.