Lors de l’évacuation, par la police, de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), le 9 avril. | LOIC VENANCE / AFP

La ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) est désormais occupée par les gendarmes. Le gouvernement a lancé l’évacuation du bocage dans la nuit de dimanche 8 à lundi 9 avril. C’est à trois heures du matin que les gendarmes mobiles ont débuté leur intervention sur le terrain, devenu plus que jamais « zone à défendre » pour les occupants. Quelque 2 000 gendarmes (sur les 2 500 mobilisés pour cette opération, soit vingt-cinq escadrons) ont progressé sur la route départementale 281, pour la dégager des nouveaux obstacles qui avaient été installés durant la nuit. Quatre véhicules blindés à roues de la gendarmerie, les VBRG, ont été engagés pour faciliter leur progression et franchir les obstacles dressés par les zadistes.

Tout le monde, sur la ZAD, s’attendait à l’intervention des forces de l’ordre pour procéder aux expulsions des « occupants illégaux », maintes fois réaffirmées par le gouvernement depuis l’annonce, le 17 janvier, de l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, au nord de Nantes. Mais les occupants, sur le pied de guerre durant la nuit, ne pensaient pas que l’opération militaire débuterait si tôt.

Durant plusieurs heures, dans les prairies avoisinantes et sur la route qui mène aux Fosses noires, haut-lieu de la lutte contre l’aéroport, où se trouve aussi la boulangerie de la zone, le face à face a été tendu. Aux injures et projectiles lancés par les quelque 200 à 300 zadistes et soutiens arrivés dans les jours précédents, ont répondu des tirs de grenades lacrymogènes et assourdissantes. A 9 heures, alors que les traits des occupants commençaient à être marqués par la fatigue, que l’air empestait les gaz lacrymogènes et l’odeur de caoutchouc brûlé des barricades de pneus enflammés, le bilan était encore léger.

Solutions de relogement

Selon la préfète des Pays de la Loire, Nicole Klein, qui supervise les opérations avec le directeur national de la gendarmerie, le général Richard Lizurey, dépêché de Paris, un gendarme a été blessé à l’œil par le tir d’une fusée. Une personne a été interpellée pour jet de cocktail Molotov et déférée au tribunal de Saint-Nazaire pour comparution immédiate.

« Les opérations se déroulent bien, tous les squats visés, le long de la route départementale 281, étaient vides quand les forces de l’ordre se sont présentées pour procéder aux expulsions », a déclaré au Monde, Nicole Klein, en début de matinée. Cinq squats auraient déjà été vidés et des destructions vont être opérées, notamment la tour de guet qui avait à nouveau été érigée sur les bas-côtés de la route après une première destruction voici plusieurs semaines. « L’action est loin d’être terminée, certaines investigations sont longues à faire. Il faudra maintenir une présence forte pour continuer les expulsions », a confirmé un porte-parole de la gendarmerie.

Les images de l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes par les gendarmes mobiles
Durée : 01:25

Mais du côté de l’état-major, comme de celui des zadistes, personne ne se risque à un pronostic sur les événements qui vont se dérouler sur la zone dans les prochaines heures et les prochains jours. Du côté des occupants, qui se regroupent sur les centres les plus emblématiques de la ZAD, il n’est pas question d’abandonner le terrain.

Le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb a affirmé, sur Europe 1, que l’opération consistait à déloger « une centaine » de personnes et à « démanteler » une quarantaine « d’édifices ». Il a précisé que les forces de l’ordre seraient maintenues sur place « tant qu’il sera nécessaire » pour empêcher de nouvelles occupations. « J’espère […] que dans les quelques semaines, l’ordre sera revenu à Notre-Dame-des-Landes », a-t-il ajouté, en promettant de proposer des solutions de relogement « à chacun », en sorte qu’il n’y ait « pas de gens à la rue ». « On a donné des consignes de retenue », a aussi assuré le ministre.

« On assume le retour à l’Etat de droit, celles et ceux qui s’inscriront dans la violence devront en répondre devant la justice », Sébastien Lecornu, secrétaire d’Etat

Les craintes d’un nouveau Sivens (où un jeune homme, Rémi Fraisse, a été tué par l’explosion d’une grenade offensive, en octobre 2014, lors de la contestation d’un projet de barrage dans le Tarn) sont fortes, y compris dans le camp de la majorité. Le député (LRM) du Maine-et-Loire, Matthieu Orphelin, a expliqué qu’il suivrait « avec inquiétude » l’opération, ayant « depuis des mois œuvré, avec tant d’autres, pour que soit possible un retour à l’Etat de droit sans violences à NDDL ». Proche du ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, M. Orphelin dit espérer une intervention ciblée autour de « la remise en service de la route RD 281 » et du démontage des quelques lieux de vie : « Faisons tout pour qu’il n’y ait pas un nouveau César [l’opération d’évacuation lancée à l’automne 2012, qui avait tourné au fiasco]. Ou un nouveau Sivens. »

« On assume le retour à l’Etat de droit, celles et ceux qui s’inscriront dans la violence devront en répondre devant la justice, a déclaré, sur France 2, Sébastien Lecornu, secrétaire d’Etat auprès de Nicolas Hulot. Le tri [entre occupants de la ZAD] est assez simple. Il y a ceux qui portent un projet agricole dans le cadre de l’Etat de droit. Ceux qui ne s’inscrivent pas dans ce cadre […], ce sont ceux-là qui sont ciblés les premiers. »

Organiser la résistance

Tout le week-end, la ZAD a vécu dans l’effervescence de cette intervention. Chacun savait que l’heure approchait pour le gouvernement de mettre à exécution sa promesse d’évacuer les occupants illégaux , annoncée lors la déclaration par le premier ministre, Edouard Philippe, de l’abandon du projet de nouvel aéroport nantais. Les réunions se sont succédé pour organiser la résistance à l’entrée des forces de l’ordre dans le bocage. Des renforts sont arrivés pour, non plus empêcher la construction d’un aéroport jugé « inutile », mais défendre un projet de vie collectif, des expériences agricoles et artisanales alternatives. Samedi 7 avril dans la soirée, des voitures ont déchargé leurs passagers, dont de nombreux étudiants, venus de Paris, de Nantes ou d’ailleurs.

Pendant ce temps-là, sur la route départementale 281, qui avait été dégagée par des zadistes et des agriculteurs, les gendarmes procédaient à des contrôles d’identité, des ouvertures du coffre des véhicules : rien ne devait entrer qui puisse servir à confectionner des objets incendiaires ou des projectiles.

Du côté des occupants, même si de nombreux obstacles (pneus, chariots de supermarché, branchages…) avaient été prépositionnés pour empêcher les véhicules de gendarmerie de passer, l’heure n’était pas à la guérilla contre les forces de l’ordre. Il s’agissait seulement, affirmaient les zadistes et leurs soutiens, de résister à la mise à bas des projets de vie collective.

Dans une ultime, et tardive, tentative d’empêcher les expulsions, « l’assemblée des usages », qui regroupe les différents habitants de la ZAD ainsi que les composantes diverses du mouvement, avait envoyé, vendredi, à la préfecture une « proposition concrète de convention provisoire collective » pour réaffirmer leur volonté de « pérenniser les différentes activités agricoles, artisanales, sociales ou culturelles à l’œuvre aujourd’hui dans le bocage ainsi que les habitats », et refuser toute démarche individuelle, tri ou sélection entre les différents projets. Ces démarches individuelles étaient pourtant exigées par le gouvernement.

Ce jusqu’au-boutisme dans l’affirmation du collectif, a exaspéré dans les rangs mêmes de ceux qui ont lutté contre le projet d’aéroport, notamment les agriculteurs historiques. « Ce n’était pourtant pas difficile de déposer un dossier individuel par site, afin de bloquer les procédures d’expulsion », déclare l’un d’eux.

Expulsions illégales

Ces signes de « bonne volonté » étaient aussi espérés par la préfète, qui a prêché, dès l’abandon de la construction de l’aéroport, pour des discussions sur l’avenir des terres agricoles et l’étude des différents projets, boulangerie, conserverie, brasserie, auberge… Elle a aussi défendu le principe d’une intervention ciblant les sites abritant ceux qui restaient opposés à la réouverture de la route 281, symbole du retour de l’Etat de droit sur la zone.

« L’opération débutée ce matin vient mettre à exécution des décisions de justice pour procéder à l’expulsion des occupants les plus radicaux », a indiqué dans un communiqué M. Collomb. De leur côté, les occupants de la ZAD et leurs avocats dénoncent des expulsions illégales, « dès lors que les habitants n’ont reçu aucun ordre d’expulsion prononcé par une juridiction à l’issue d’une procédure publique et contradictoire », écrivent une vingtaine d’avocats des barreaux de Paris, Nantes et Rouen.

Pour l’état-major de la gendarmerie « le cadre juridique est très clair, on est sur des mesures d’expulsion d’individus qui sont sur un terrain ne leur appartenant pas. Depuis deux ou trois mois, certains ont régularisé leur situation. Ceux que l’on va chercher sont ceux qui n’ont pas de projet. On ne va pas faire un ratissage sans regarder, mais la volonté du gouvernement est assez claire, on va aller jusqu’au bout, même si cela peut prendre un peu de temps », précise un gradé, en charge du dossier.

En milieu de matinée, les zadistes appelaient à « rejoindre la zone pour la défendre ». Une quarantaine de rassemblements étaient prévus dans différentes villes pour protester contre les expulsions en cours.