Des supporters français, lors du quart de finale de Coupe Davis opposant l’Italie à la France, à Gênes, le 8 avril. / TONY GENTILE / REUTERS

« Tu vois, président, faut pas l’arrêter cette Coupe Davis… » Quand le patron de la Fédération française de tennis (FFT), Bernard Giudicelli, est venu féliciter Lucas Pouille après sa victoire, dimanche 8 avril, sur Fabio Fognini (2-6, 6-1, 7-6, 6-3), synonyme de qualification pour les demi-finales de la Coupe Davis, c’est avec cette apostrophe pleine de sarcasmes que le chef de file de l’équipe de France l’a accueilli.

Les deux hommes ont décidément bien du mal à se comprendre. M. Giudicelli est l’un des garants du projet – qui prévoit symboliquement la fin des rencontres à domicile et à l’extérieur au profit d’une compétition ramassée sur une semaine, en terrain neutre – au titre de président du comité de la Coupe Davis au sein de la Fédération internationale de tennis (FIT). Lucas Pouille, lui, en est l’un des pourfendeurs les plus enragés parmi les joueurs français. Tout au long du week-end, il a dit et redit qu’il boycotterait la nouvelle formule si d’aventure elle était entérinée, le 8 août, lors de l’assemblée générale annuelle de la FIT.

Atmosphère irrespirable à Valence

La qualification acquise, le président a tenu à défendre sa position, rendue inconfortable par sa double casquette : « Le format actuel est en danger dans la mesure où les meilleurs ne le jouent plus. C’est le conseil des joueurs, qui, lors du dernier US Open, a fait savoir qu’il ne voulait plus jouer quatre semaines. C’est sur ce point que le système d’aujourd’hui est fragilisé. La Fédération internationale a besoin de garanties pour pouvoir financer cette épreuve. »

Le sort de l’épreuve sera scellé à l’heure où la France accueillera l’Espagne (qui a éliminé l’Allemagne), les 14, 15 et 16 septembre. Mais ce week-end, l’épreuve séculaire n’aurait pu rêver meilleur plaidoyer en sa faveur de la part des nations à l’œuvre. A commencer par l’Italie et la France, dans l’écrin du Valletta Cambiaso de Gênes, tennis-club au charme désuet, tapi dans l’ombre des pins parasols. Dans ce décor pastoral où, de temps à autre, le carillon voisin recouvrait harmonieusement le bruit des balles, le central de 4 000 places avait « des airs d’arène romaine », dixit M. Giudicelli.

Durant deux jours, les supporteurs des deux camps se sont chambrés, invectivés, jusqu’aux huées. Avant de poser les armes dimanche, les tifosi s’inclinant devant la fanfare ennemie, qui avait été bien inspirée d’interpréter l’hymne italien avant que Pouille et Fognini n’entrent sur le court. A croire que même les dieux avaient été convoqués pour que rien ne vienne gâcher la festa, la pluie s’était interrompue jeudi, à la veille des hostilités, et reprit opportunément dimanche soir.

Les matchs ont donné lieu à des duels accrochés entre Lucas Pouille et Andreas Seppi vendredi en ouverture, puis Fabio Fognini et Jérémy Chardy, et pour finir entre les deux numéro un dimanche. Seul le double, samedi, entre la paire Mahut-Herbert et Bolelli-Fognini fut à sens unique, sur le terrain du moins. En tribunes, la tension n’est jamais retombée.

Lors du quart de finale Espagne-Allemagne de la Coupe Davis à Valence, le 8 avril. / HEINO KALIS / REUTERS

Le spectacle ne fut rien toutefois à côté de l’intensité dramatique des arènes de Valence, théâtre du quart de finale entre l’Espagne de Rafael Nadal et l’Allemagne d’Alexander Zverev. Plus de 10 000 spectateurs, 16 heures et 35 minutes de jeu en trois jours, un double en cinq sets qui tutoya les sommets et un cinquième match décisif conclu au bout du bout du cinquième set dans une atmosphère irrespirable. L’ovation que lui réserva le public arracha même des larmes au valeureux David Ferrer, 36 ans.

Il fallait voir Nadal, vainqueur de ses deux simples pour sa reprise après plus de deux mois sans compétition, encourager ses coéquipiers depuis le banc. Tour à tour grimaçant, s’arrachant les cheveux, levant les yeux au ciel, tressautant, vociférant, serrant les poings, comme si sa vie en dépendait. Difficile de croire que le numéro un mondial, qui n’a plus perdu dans la compétition depuis 2005, souhaite la fin de ces joutes locales.

A l’instar de Novak Djokovic, l’Espagnol est pourtant de ceux qui ont apporté publiquement leur soutien au projet porté par le défenseur du Barça Gérard Piqué : « Je pense que [les changements] sont bons, avait-il réagi en marge du tournoi d’Acapulco, fin février. C’est une bonne initiative qui peut fonctionner. » En bon helvète, Roger Federer, lui, n’a pas pris position : « La Coupe Davis devait faire quelque chose. Maintenant si c’est la bonne chose à faire, je ne sais pas », avait-il commenté à la veille d’Indian Wells.

« Il ne faut pas que ce soit un été indien de la Coupe Davis »

Avec Nadal, Zverev, Marin Cilic (n° 3 mondial) – qui a apporté le point de la qualification à la Croatie en battant le Kazakhstan – et John Isner (n° 9), vainqueur d’une équipe belge amputée de David Goffin, les joueurs du Top 10 ont montré qu’ils savaient répondre présent. « Un week-end pareil fait remonter un indicateur, le nombre de Top 10 qui ont participé. Mais il faut que ce soit durable. Il ne faut pas que ce soit un été indien de la Coupe Davis », a averti M. Giudicelli.

« La clé, veut-il croire, c’est l’ATP qui l’a. Que l’ATP [qui entend relancer sa propre Coupe du monde] reconnaisse que la Coupe Davis est la véritable Coupe du monde du tennis et que l’ATP donne des points à l’épreuve ! Et vous verrez que derrière, tout va s’arranger. »

Noah, qui fustige une réforme « scandaleuse », et Pouille ont prévu chacun à leur manière de tenter de fédérer derrière eux. Le premier entend « solliciter les autres capitaines » et « envoyer des textos » aux réfractaires ; le second a prévu de réunir les joueurs à Monte-Carlo, Madrid ou Roland-Garros pour « avoir l’avis de tout le monde ». La réformer, oui, la raréfier pourquoi pas, mais la révolutionner en se privant de foules effervescentes comme celles de Gênes ou de Valence, l’idée leur est inacceptable.

Il leur reste quatre mois jour pour jour pour convaincre que la Coupe Davis ne mérite pas d’être ramenée à une simple « exhibition ». Une de plus.