Un partisan de Viktor Orban à Budapest, le 8 avril. / ATTILA KISBENEDEK / AFP

Avec 48,5 % des voix, le parti nationaliste Fidesz a remporté, dimanche 8 avril, une victoire éclatante au terme des législatives hongroises. Ce succès est l’achèvement de la campagne très dure menée par le premier ministre, Viktor Orban, contre l’immigration et les institutions européennes. Dans un tchat, lundi, l’envoyé spécial du Monde à Budapest, Blaise Gauquelin, a répondu aux questions des internautes.

Christophe K. : Pourquoi les prévisionnistes se sont plantés en indiquant la forte participation comme condition importante de l’alternance ?

Blaise Gauquelin : En 2010 et en 2014, le faible taux de participation avait favorisé M. Orban : son électorat s’était mobilisé alors que celui de l’opposition n’était pas allé voter. La forte mobilisation cette année a donc été à tort perçue comme un « réveil » de l’électorat opposé au premier ministre.

Les prévisionnistes n’ont pas réussi à percevoir la mobilisation parallèle de l’électorat de M. Orban, surtout dans les campagnes. Ils n’ont pas su voir, parce que la situation était inédite, quelle conséquence le discours sur l’immigration allait avoir hors de la capitale.

Viktor Orban a réussi à mobiliser un électorat passif jusqu’à présent. Il n’a jamais eu autant d’électeurs. Ceux qui sont allés le soutenir cette fois sont des Hongrois qui craignent l’islam et les étrangers. Ce fait politique inédit, majeur, sera très observé dans d’autres pays européens.

Paul : Est-il possible de voir une alliance entre le Fidesz et Jobbik, le parti d’extrême droite, qui partagent des positions communes ?

Le Fidesz n’a pas besoin de tendre la main au Jobbik : il dispose d’un pouvoir dont ne jouit aucune autre formation politique en Europe. Il a pour lui les deux tiers des sièges à la Diète.

Le Jobbik a fait un score décevant car il a tenu à affirmer une stratégie de recentrage, qui a déstabilisé son électorat. Ce parti se situe dans le paysage de dédiabolisation observé ailleurs, mais a échoué notamment à former des alliances à l’international, ce qui prouve que même les partis d’extrême droite européens restent prudents concernant sa réelle nature.

Comment Viktor Orban est devenu le champion de l’extrême droite européenne
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Patrick : L’effondrement des sociaux-démocrates vient-il de leur soutien aux technocrates bruxellois ou de leur abandon de la classe ouvrière ?

Ils sont en tout cas sanctionnés pour avoir été au pouvoir lors de la grave crise de 2009 (6,6 % de récession). Le contexte actuel de crise de la social-démocratie européenne ne les aide pas à rebondir.

La gauche est divisée en trois partis – deux socialistes et un écologiste – qui n’ont pas souhaité ou pas pu se rassembler. Il est difficile, dans le système électoral hongrois, de négocier alors que le scrutin ne comporte qu’un seul tour et que les formations ne savent pas réellement quel poids politique elles peuvent avoir.

C’est un système favorable au parti le plus puissant et défavorable à l’opposition. Enfin, des pans entiers de l’électorat de la gauche ont émigré en Europe occidentale.

Man02 : Outre l’immigration, quelles sont les principales idées de Viktor Orban ?

Il a parlé exclusivement de l’immigration durant la campagne électorale. Il n’a pas débattu avec l’opposition mais ses idées sont connues : sur le plan économique, il applique une politique très interventionniste, plutôt de gauche dans certains domaines. Il défend les valeurs du travail, de la famille et de la patrie.

C’est un souverainiste dont le discours, désormais teinté de théories conspirationnistes, est applaudi par l’extrême droite.

Marc : Le bilan du premier ministre, est-il bon ou non ?

Viktor Orban a réussi à corriger les excès du libéralisme observés dans tout l’espace post-soviétique après 1989 et particulièrement en Hongrie, l’économie la plus ouverte avant son retour au pouvoir en 2010.

Les Hongrois, en quête de souveraineté, lui sont reconnaissants d’avoir rétabli un rapport de force favorable à leur pays, face à l’Allemagne par exemple.

Mais des questions importantes sont toujours sans réponses ce lundi : comment améliorer l’état catastrophique du système hospitalier ? Comment mettre fin à la fuite des cerveaux, à la pénurie de main-d’œuvre ?

AntonCatherine : Quelles sont les premières réactions des dirigeants européens ?

Angela Merkel a félicité M. Orban pour sa réélection. Ces deux personnalités appartiennent à la même famille politique : la CDU comme le Fidesz sont membres du Parti populaire européen. La chancelière allemande n’a fait aucun commentaire, à ma connaissance, sur la campagne xénophobe et conspirationniste menée par la Hongrie.

Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, a également salué la réélection de M. Orban. Mais un porte-parole a dit espérer que la Hongrie respecterait les valeurs fondatrices de l’Union.

Manon M. : L’Union européenne (UE) ne peut-elle pas infliger des sanctions à la Hongrie pour la façon dont elle traite les migrants et les étrangers en général ?

Si des manquements sont observés, c’est au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme que la Hongrie peut-être sanctionnée, ce qui est régulièrement le cas. Mais la Commission persiste à vouloir que la Hongrie prenne sa part de la solidarité européenne en matière d’accueil.

S’il affirme l’inverse à ses électeurs, M. Orban applique d’ailleurs à la lettre cette obligation : la Hongrie a accueilli 1 300 réfugiés en 2017… mais elle ne le dit pas.

Romain : La Commission a-t-elle les moyens et la volonté de sanctionner un éventuel durcissement hongrois sur l’Etat de droit ?

M. Orban ne peut pas être sanctionné en vertu de l’article 7 du traité de l’UE, parce que son allié polonais s’y oppose. Mais Bruxelles réfléchit à un mécanisme de conditionnement du versement des fonds européens au respect de l’Etat de droit. Ce projet est controversé.

Lire aussi l’éditorial du « Monde » : Le défi hongrois à l’Europe

Lecteur : Quelle est l’attitude de Viktor Orban face à la Russie ?

M. Orban est souvent qualifié d’allié de M. Poutine. La situation est plus nuancée. La Hongrie est une obligée de Moscou, de par sa géographie et ses héritages : elle dépend notamment du gaz russe. A cette réalité se greffe une politique de diversification des alliances de la part de M. Orban.

Vince D. : Peut-on s’attendre à de nouvelles atteintes aux droits fondamentaux, à la justice, à la liberté de la presse ?

Les ONG sont en tout cas très inquiètes, particulièrement celles qui sont financées par le milliardaire et philanthrope George Soros, bête noire de M. Orban. Des militants associatifs étrangers ont étudié une solution de repli à l’étranger. Les ONG internationales comme Amnesty ou RSF se sont préparées à la situation.

La presse d’opposition, celle appartenant à un milliardaire ennemi de M. Orban, s’attend à des attaques. Hier soir, la première mesure annoncée par le gouvernement a été de fermer les organisations qui font de la politique. A savoir des ONG, des médias dont M. Orban considère qu’ils lui sont hostiles.

George D. : Orban souhaite un renouveau démographique en Hongrie sans avoir recours à l’immigration. Quelles sont ses principales mesures en matière de politique familiale ?

La politique familiale hongroise est la plus généreuse d’Europe. Les familles de plus de deux enfants bénéficient d’avantages à faire rougir la France, pourtant pionnière. Elle autorise un frémissement, mais qui n’est absolument pas suffisant pour renouveler les générations.

Notamment parce que le Fidesz prône le retour de la femme au foyer, alors que toutes les études prouvent que c’est lorsqu’on permet aux femmes de concilier carrière et vie de famille qu’elles font le plus d’enfants. Surtout dans un pays postcommuniste où les femmes travaillent depuis trois générations.