Après son discours, lundi 9 avril, devant les évêques de France, le président français, Emmanuel Macron, a été accusé d’atteinte à la laïcité. Cécile Chambraud, journaliste spécialiste des religions au « Monde », a répondu aux lecteurs du Monde.fr.

Sic75 : Les discours d’E. Macron devant chaque religion, que ce soit devant les personnes de confession musulmane ou juive, m’ont toujours paru laisser entrevoir une laïcité « ouverte ». En quoi celui-ci déclenche-t-il de telles réactions ?

Cécile Chambraud : Une formule d’Emmanuel Macron a particulièrement concentré les réactions hostiles, à gauche. « Nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer », a-t-il dit aux évêques catholiques. Les critiques font observer que le « lien » entre l’Eglise (et même « les Eglises ») et l’Etat a été coupé par la loi de 1905. Ils accusent le président de la République de revenir en catimini sur cette loi de séparation qui, si elle ne mentionne pas le mot de « laïcité », est l’un des fondements des relations entre l’Etat et les cultes en France.

Jean-Loup : Y a-t-il eu une dégradation récente dans le dialogue entre les représentants de l’Eglise et de l’Etat qui justifie le commentaire d’Emmanuel Macron « réparer le lien » – qui reste au minimum maladroit ? Les rencontres des gouvernants avec les chefs des cultes juifs et musulmans sont très souvent médiatisées, mais nous sommes un peu dans le flou vis-à-vis des catholiques…

On peut relever une certaine dose d’ambiguïté dans le discours d’hier d’Emmanuel Macron : il parle, par instants, des relations entre l’Eglise catholique et l’Etat et, à d’autres moments, des relations entre les catholiques et le pouvoir politique, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Concernant ce « lien abîmé », il évoque des « malentendus » et de la « défiance » réciproque survenus ces dernières années, et qui seraient, selon lui, davantage le fait des « politiques » qui auraient « profondément méconnu les catholiques de France ». On peut voir là une allusion à la réforme du mariage pour tous, qui avait provoqué l’opposition que l’on sait chez les électeurs catholiques. Cet éloignement politique a-t-il cependant altéré le « lien » entre l’institution Eglise, et l’Etat ? C’est une question à laquelle il semble répondre oui.

Démosthène : Qu’en est-il des autres principales religions ? Le président donne-t-il des signes de vouloir traiter avec elles de la même façon qu’avec l’Eglise catholique ?

En France, l’Etat a les mêmes relations avec l’ensemble des cultes. Depuis 1905, il « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Il entretient avec leurs représentants les relations nécessaires pour régler des questions d’intérêt commun, comme, par exemple, les aumôneries dans les armées, les prisons et les hôpitaux. En revanche, dans son discours de lundi, Emmanuel Macron ne cache pas, à titre personnel, une relation particulière au catholicisme : « Pour des raisons à la fois biographiques, personnelles et intellectuelles, a-t-il dit, je me fais une plus haute idée des catholiques. »

Eric Nicolier : Le débat, parfois caricatural, auquel on assiste depuis hier, n’est-il pas le signe que chacun s’appuie sur sa propre définition de la laïcité ? Et qu’il y a là déjà un premier problème d’une laïcité définie en 1905 selon les critères de l’époque, chacun formulant aujourd’hui cette définition de la laïcité à sa manière ?

Il est évident que plusieurs conceptions de la laïcité coexistent en France. Mais cette situation n’est pas nouvelle. Elle existait déjà à l’époque où la loi de 1905 a été discutée puis adoptée. On trouvait déjà les partisans d’une laïcité « libérale », qui vise d’abord à défendre la liberté de religion et de culte, et une laïcité plus hostile à la visibilité des religions. Les deux conceptions se retrouvent aujourd’hui !

Charlotte : Pourriez-vous nous expliquer la différence entre la laïcité « à la française » et la laïcité tout court ?

Il est difficile d’être exhaustif ici mais, en réalité, on peut dire qu’il y a autant de types de laïcité que de pays qui ont opéré une séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel. Prenons la France et les Etats-Unis, qui ont tous deux un modèle de séparation des Eglises et de l’Etat. Aux Etats-Unis, les collectivités publiques n’ont, par exemple, pas le droit de financer des écoles confessionnelles, alors qu’en France la loi Debré, de 1959, permet à l’Etat de financer le privé sous contrat. En revanche, on n’imagine pas le président de la République française jurer sur la Bible lors de sa prise de fonctions, comme cela se fait aux Etats-Unis…

T : Vous dites : « En France, l’Etat a les mêmes relations avec l’ensemble des cultes. Depuis 1905, il ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » Cependant, il me semble qu’en Alsace-Lorraine L’Etat paye les prêtres et autres représentants des différentes fois. C’est assez ambigu dans un Etat se disant laïc (même si c’est lié à l’histoire), comment se justifie l’Etat pour ces variations ?

Au moment de l’adoption de la loi de 1905, l’Alsace-Moselle était… allemande. La loi ne s’y appliquait donc pas. Après leur rattachement de ces départements, il a été décidé d’y conserver le modèle concordataire qui datait de la période précédente.

Don Camillo : Au vu des nombreuses précautions prises par Macron vis-à-vis de la laïcité dans le cadre de sa fonction lors des diverses cérémonies religieuses, ce récent discours est assez surprenant. Ne faut-il pas simplement y voir un coup politique pour aller prendre des électeurs à la droite conservatrice peu séduite par Laurent Wauquiez en vue des élections européennes ?

Qu’un responsable politique ait aussi le souci des électeurs, le contraire serait surprenant ! De fait, une bonne partie de l’électorat catholique s’est droitisée ces dernières années. Au point d’être tentée de voter pour le Front national autant que le reste de l’électorat (pendant longtemps, les catholiques pratiquants votaient moins à l’extrême droite que le reste de la population). Il est assez logique pour un président du « centre » de ne pas se satisfaire de ce glissement.

Rvd : Les catholiques pratiquants ne représentent qu’environ 5 % de la population française. Pourquoi Macron fait-il d’un coup autant du charme à cette minorité en déclin ?

Je ne pense pas que l’on puisse réduire les « catholiques » à la frange, effectivement réduite, de ceux qui pratiquent régulièrement leur religion. De nombreux Français se disent catholiques même s’ils ne vont jamais à la messe. Emmanuel Macron parlait à l’évidence au-delà de ces 5 %.